Si certains doutaient encore des velléités de Google de mettre un pied dans l’industrie du jeu vidéo, voilà une annonce qui devrait dissiper les derniers doutes. Mardi 12 mars, l’ex-productrice et chef de studio d’Ubisoft et Electronic Arts, la québécoise Jade Raymond, a révélé son arrivée chez le géant du Web. « Je suis fière de pouvoir enfin annoncer que j’ai rejoint Google en qualité de directrice », a-t-elle tweeté, sans préciser son périmètre exact ni sa mission. Elle y rejoint Phil Harrison, ancien président des studios Sony et directeur Corporate de Microsoft, autre pointure du jeu vidéo à avoir rallié Google, depuis janvier 2018, alors que la firme de Mountain View prépare une plate-forme de jeu vidéo en streaming.

Jade Raymond est une des figures les plus connues de l’industrie. En plus de vingt ans de carrière, elle a supervisé plusieurs jeux ou séries aussi majeures que Assassin’s Creed, The Sims Online, Plantes vs Zombies, Splinter Cell, Star Wars et Watch Dogs. Elle a aussi fondé deux studios de plusieurs centaines de personnes, Ubisoft Toronto et EA Motive Studios, tous deux au Canada, terre de prédilection des jeux vidéo à grand budget.

L’embauche de Jade Raymond semble acter de la volonté de Google de développer une filière de création interne, sur le modèle de ce que Nintendo, Sony ou encore Microsoft ont fait par le passé. Mais son rôle pourrait être plus large encore. « Dans l’optique de construire une plate-forme, il est préférable d’avoir quelqu’un qui connaît bien le marché, ses audiences et motivations, le contenu qui leur correspond, et les boîtes qui savent ou peuvent le faire », précise Yara Khoury, productrice chez Riot Games et elle-même ancienne d’Electronic Arts.

Spécialiste de la création de studios

Diplômée de sciences appliquées et d’informatique, elle débute comme responsable software chez Sony Online Entertainment, où elle travaille sur les jeux de société interactifs Jeopardy Online et Trivial Pursuit avant de superviser The Sims Online chez Electronic Arts.

Mais c’est Ubisoft qui lui fait accéder à la notoriété. En juin 2004, elle rejoint le studio Ubisoft Montréal en qualité de productrice exécutive. Elle supervise la création d’Assassin’s Creed, la nouvelle poule aux œufs d’or d’Ubisoft. Le thème et le concept du jeu vient de l’imagination de Patrice Désilets, et c’est elle qui constitue l’équipe, suit l’avancement du projet, et le mène jusqu’à bon port.

« Ubisoft nous a demandé de redéfinir le genre du jeu d’action pour la prochaine génération de consoles. La seule manière de remplir un tel objectif était de réunir la bonne équipe : des gens qui ont montré qu’ils pouvaient travailler ensemble, avec des experts venus de différents horizons », explique-t-elle alors.

Elle a par la suite fondé EA Motive Studios et supervisé la stratégie d’Electronic Arts pour les séries Plants vs Zombies HD et Star Wars. Avec moins de réussite sur ce dernier. Le site Kotaku révélait en janvier 2019, selon au moins trois sources concordantes, que l’adaptation des aventures de la famille Skywalker développée dans les studios d’Electronic Arts, à Vancouver, avait selon toute vraisemblance été annulée, et que Jade Raymond, qui supervisait le projet jusque-là, avait été remerciée et remplacée en octobre 2018.

Google dans une stratégie de contenu

Ce semi-échec n’a pas entamé son crédit. « Avoir quelqu’un de son calibre au comité exécutif de Google va les aider dans leur stratégie jeu vidéo, quoiqu’il se passe !, s’enthousiasme Mark DeLoura, patron de Level Up Games qui l’a côtoyée à Ubisoft, interrogé par Le Monde.

« La question que beaucoup d’entre nous se pose, c’est : vont-ils réussir à faire bon usage de ses superpouvoirs évidents, créer des équipes, les faire grandir, accoucher de jeux haut de gamme attrayants ? »

Les projets du géant du Web en matière d’offre en streaming sont aujourd’hui un secret de polichinelle. Google a mené des expérimentations publiques à l’automne dernier, avec la mise à disposition d’Assassin’s Creed Odyssey, jouable dans le navigateur Chrome, via une version d’essai temporaire de Project Stream, son projet de service de jeu vidéo à la demande. Et une page Web de teasing sur Google Store invite les internautes à « découvrir une nouvelle manière de jouer », en attendant la conférence que doit tenir l’entreprise mardi 19 mars à San Francisco, à la Game Developers Conference, à 18 heures (heure française).

A la manière d’Epic Games, l’éditeur de Fortnite, qui a lancé sa propre plate-forme fin 2018, Google est dans une phase d’acquisition de catalogue et a déjà approché plusieurs studios et éditeurs pour, entre autres, acquérir des exclusivités. « Ils sont proactifs. L’objectif [de la conférence] c’est de faire le buzz auprès des consommateurs et surtout de remplir le catalogue. Là où Epic était sorti de nulle part, avait préparé sa plate-forme et approché les développeurs en secret, Google fait du teasing public. Ils voient peut-être plus gros », suggère Olivier Penot, responsable de catalogue chez l’éditeur Dear Villagers (ex-Playdius). Avec l’annonce de l’embauche de Jade Raymond, quelques jours avant cette conférence, Google envoie un message fort.