Le « Grande-America » a sombré à plus de 4 000 m de profondeur, au large de La Rochelle, deux jours après qu’un incendie se soit déclaré à bord. / MARINE NATIONALE / AFP

Après deux jours de dérive au large des côtes françaises, le Grande America, navire roulier et porte-conteneurs de l’armateur italien Grimaldi Group, a sombré à plus de 4 000 mètres de fond, dans l’océan Atlantique, à l’ouest de La Rochelle, mardi 12 mars. Comme à plus de cinquante reprises dans le monde depuis 2015, c’est un incendie des conteneurs qui a perturbé le trajet du navire, dont l’équipage a dû être évacué, incapable de lutter contre les flammes.

Pour Yannick Le Manac’h, expert de l’agence de protection du littoral breton Vigipol, ancien inspecteur des affaires maritimes et auteur d’une étude sur ce phénomène), la pression économique autour du transport maritime explique en partie la multiplication des incendies.

D’où viennent les incendies déclarés sur les porte-conteneurs ?

Il faut distinguer deux choses : le bateau et la cargaison. Des incendies comme celui du Grande-America peuvent intervenir autant sur des navires neufs que sur des navires anciens. Le principal problème est donc le chargement : on ne sait jamais vraiment ce qu’il y a dans les conteneurs et la qualité du conditionnement des matières dangereuses. Si un registre existe à bord, il n’est souvent consulté qu’a posteriori, et les contrôles ne concernent qu’une petite partie des marchandises.

Une réaction de produits chimiques à l’intérieur d’un conteneur peut aboutir à une explosion, une déflagration, et les fumées toxiques qui s’en dégagent ne permettent pas de lutter efficacement contre un incendie, l’équipage ne pouvant pas l’approcher pour l’éteindre. De plus, dès l’instant où un feu se déclare, l’équipage n’a que quelques minutes pour réussir à le maîtriser. Passé ce délai, il n’y a plus grand-chose à faire pour l’arrêter avec les moyens mis à disposition à bord.

Est-ce que l’équipage a les capacités d’éteindre un incendie important sur ce type de navire ?

Même sur les grands rouliers, l’équipage n’est constitué que de vingt-sept à trente personnes. C’est très peu ! S’ils sont formés au chargement et au transport de matières dangereuses, ils ne savent pas comment gérer ces incendies de type industriel. Quand un entrepôt ou une matière chimique prend feu sur terre, la mobilisation de moyens et le nombre de pompiers sont impressionnants, et ce n’est pas pour rien ! Il n’est pas étonnant que, face au même danger, les équipages se sentent dépourvus en mer.

Pendant un moment, le capitaine du Grande-America a pensé pouvoir maîtriser l’incendie, et il a envoyé un message aux autorités françaises dans ce sens. Mais finalement, cela s’est révélé impossible. Le naufrage n’est intervenu que deux jours après la déclaration de l’incendie. Parfois, c’est beaucoup plus long : en 2018, le Maersk-Honam, parti de Singapour en direction du canal de Suez, a subi un incendie au large d’Oman. Il n’a pas sombré, mais il a fallu trois mois pour éteindre le feu, stabiliser le navire et pouvoir le ramener au port, une partie de ses conteneurs complètement détruits.

Le rôle du capitaine sur ces bateaux est également plus réduit qu’il ne devrait l’être. S’il doit normalement bénéficier de tout l’appui de son armement [en terminologie marine, le fait d’équiper un navire, ici utilisé pour désigner l’armateur] pour prendre les décisions à bord et d’une autonomie complète sur les actions à prendre, il subit toujours une grande pression économique. L’objectif, c’est d’aller d’un point A à un point B le plus rapidement, et l’activité du porte-conteneurs est en grande partie entre les mains des armateurs.

L’ancienneté du « Grande-America » faisait-elle de lui un bateau à risque ?

Le retour d’expérience que l’on a, c’est que les incendies se produisent aussi bien sur un navire qui vient d’être mis en service qu’un bateau vieux de quelques années. Le Grande-America est de 1997, il était en train de vieillir et méritait, effectivement, une attention particulière, mais aucun élément ne me permet de dire, comme j’ai pu le voir à plusieurs reprises depuis le naufrage, qu’il s’agissait d’un navire poubelle. Il était même inscrit sur la liste blanche de l’Agence européenne pour la sécurité maritime. Depuis qu’il est en service, il a dû subir une quarantaine d’inspections, avec plusieurs déficiences constatées. C’est notable, mais c’est aussi assez courant : j’ai été inspecteur et, vous savez, une visite sans découvrir aucun problème, c’est là qu’on commence à se poser des questions.