Des Algériens se préparent pour les manifestations anti-Bouteflika, à Alger, le 15 mars 2019. / RYAD KRAMDI / AFP

Des milliers de personnes se rassemblaient dans le centre d’Alger, vendredi 15 mars, pour la quatrième journée de grandes manifestations hebdomadaires en Algérie. Plus de deux heures avant l’heure prévue pour ce rassemblement qui débute traditionnellement à l’issue de la grande prière musulmane, la place de la Grande-Poste était noire de monde.

Agé de 82 ans, affaibli par les séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC) qui l’empêche de s’adresser aux Algériens depuis 2013 et rend ses apparitions publiques rares, le président Abdelaziz Bouteflika est la cible d’une contestation massive, jamais vue depuis son élection à la tête de l’Etat, il y a vingt ans. Face aux manifestations réclamant depuis le 22 février qu’il renonce à un cinquième mandat, le chef de l’Etat a retiré sa candidature et repoussé la présidentielle prévue le 18 avril, jusqu’à l’issue d’une prochaine conférence nationale devant réformer le pays et élaborer une nouvelle Constitution, prolongeant sine die son mandat au-delà de son expiration, le 28 avril.

Une dizaine de camionnettes et un hélicoptère

« On voulait des élections sans Bouteflika, on se retrouve avec Bouteflika sans élection », s’insurge une pancarte, résumant le sentiment des contestataires depuis l’annonce du président. « Quand on dit “non au 5e mandat”, il nous dit “alors on garde le 4e” », indique une autre. « Hé, ho, enlevez le clan [au pouvoir], on sera heureux », chantent, à pleins poumons, les manifestants – hommes, femmes et enfants, de tous âges.

Comme les semaines précédentes, l’emblème national – vert et blanc, frappé du croissant et de l’étoile rouges – est omniprésent : drapeaux de toutes tailles, brandis ou portés en cape, écharpes, casquettes… Le drapeau algérien est également largement déployé aux balcons des immeubles. Une dizaine de camionnettes de la police sont garées à proximité du rassemblement, mais les policiers n’interviennent pas. Comme presque chaque jour depuis trois semaines, un hélicoptère tournoie depuis le début de la matinée au-dessus du centre-ville.

De nombreux manifestants expliquent à l’AFP être venus dès la veille à Alger, où ils ont passé la nuit chez des parents ou amis, craignant de ne pouvoir rejoindre la capitale en raison de barrages ou en l’absence de bus. « On savait qu’ils allaient fermer les routes, alors on a passé la nuit » à Alger, indique Mokrane, un maçon de 43 ans venu de Tizi-Ouzou, grande ville de la région de Kabylie, à environ 100 km à l’est de la capitale. Naïma, 45 ans, a fait 350 km de route pour venir la veille de Jijel afin de protester contre le « quatrième mandat prolongé ». Lamia, enseignante de 30 ans, est venue de Bouira (80 km au sud-est d’Alger) pour manifester contre cette « mascarade anticonstitutionnelle ».

« Vous faites semblant de nous comprendre, on fait semblant de vous écouter », indiquent des pancartes de manifestants devant la Grande-Poste, en réponse aux efforts déployés toute la semaine par le pouvoir pour tenter de convaincre que le chef de l’Etat avait répondu à la colère des Algériens.

« C’est la conférence de presse du peuple »

En manifestant en nombre mardi et mercredi, étudiants et universitaires, puis enseignants et lycéens, ont déjà fait savoir clairement qu’ils estimaient que le message de la rue – le système actuel dans son ensemble doit partir – n’était pas passé. Et toute la semaine, les appels à manifester massivement pour un quatrième vendredi consécutif ont été relayés par les réseaux sociaux, avec des mots-dièses explicites : « #Ils_partiront_tous », « #Partez ! »… Avec souvent une touche d’humour : une image conjugue ainsi le mois de mars sur le modèle du verbe « marcher » : « Je marche, tu marches […] ils partent. »

La conférence de presse conjointe, jeudi, du nouveau premier ministre, Nourredine Bedoui, qui a remplacé lundi le très impopulaire Ahmed Ouyahia, et du vice-premier ministre, Ramtane Lamamra, un diplomate chevronné, a peiné à convaincre. Au lieu d’apaiser la colère, vive mais toujours pacifique, elle a semblé au contraire la renforcer. « “Dégagez !” », titre en une, vendredi, l’édition du week-end du quotidien francophone El Watan, qui reprend un slogan de la contestation et qui estime que M. Bedoui a « esquivé les vraies questions » durant son exposé devant les médias.

Les internautes ont également été sévères : sur Twitter, l’un d’entre eux remercie ironiquement MM. Bedoui et Lamamra de leurs « efforts pour maintenir les Algériens mobilisés » à la veille du nouveau vendredi de manifestations. « Hier c’était la conférence de presse de votre premier ministre et vice-premier ministre, aujourd’hui c’est la conférence de presse du peuple », avertit un autre internaute.

« Macron, occupe-toi de tes gilets jaunes »

Autre nouveauté : de nombreuses pancartes à Alger fustigent la France, ancienne puissance coloniale, et son président, Emmanuel Macron, qui a « salué la décision du président Bouteflika » tout en appelant à une « transition d’une durée raisonnable ». « C’est le peuple qui choisit, pas la France », indique une grande banderole. Certains slogans ironiques s’adressent directement au président français : « Macron, tu es trop petit pour l’Algérie d’aujourd’hui », « Macron, occupe-toi de tes gilets jaunes »...

Les manifestants portent plusieurs pancartes rappelant les 132 ans de domination coloniale française, entre 1832 et 1962, année de l’indépendance du pays, conquise au prix de huit ans de guerre sanglante. « La France, 132 ans ça suffit, halte à l’ingérence », indique une pancarte. « L’Elysée, stop ! On est en 2019, pas en 1830 », date de la conquête de l’Algérie par la France, souligne une autre.

D’autres dénoncent une présumée collusion entre Paris et le pouvoir algérien. « Résistance à l’alternance désignée par la France », peut-on lire sur une grande banderole. « Non à un système béni par la France ! », dénonce une pancarte. « FLN = réseau de lobbying de la France », indique une autre en anglais, en référence au Front de libération nationale (FLN), au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie.

« La France nous a fait beaucoup de tort » en saluant la prolongation du mandat du président Bouteflika, affirme Mounira, 77 ans, enseignante universitaire à la retraite. « Les autres pays suivent souvent la position de la France sur l’Algérie », explique-t-elle, dénonçant de la part de Paris « une vision biaisée des manifestations et de l’Algérie ».

Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

Depuis le 22 février, le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, avant l’élection présidentielle prévue le 18 avril.

Retrouvez ci-dessous les contenus de référence publiés par Le Monde pour comprendre la crise qui traverse le pays :

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