Noureddine Bedoui (à gauche) à Alger, le 14 mars. / RYAD KRAMDI / AFP

Alors que les Algériens ont commencé à descendre dans les rues pour un quatrième vendredi d’affilée, le pouvoir s’efforçait ces derniers jours de déminer le terrain. Deux jours durant, mercredi et jeudi, les deux nouveaux chefs du gouvernement, Noureddine Bedoui (premier ministre) et Ramtane Lamamra (vice-premier ministre), se sont employés à vendre la feuille de route proposée le lundi 11 mars par une lettre signée du président Abdelaziz Bouteflika.

Pour le régime, il y a urgence. Après les étudiants et les enseignants, mardi et mercredi, les professions médicales, les avocats et les magistrats manifestaient jeudi dans plusieurs villes pour exiger le « départ immédiat » d’Abdelaziz Bouteflika. Dans la capitale, un cortège de personnes à mobilité réduite s’est même invité sur le front de mer à l’occasion de la Journée nationale du handicap, scandant des slogans hostiles au président.

Sur le fond, rien ne change. Le décret annulant le scrutin présidentiel d’avril a été publié jeudi au Journal officiel sans aucune référence constitutionnelle. Noureddine Bedoui a annoncé le même jour la composition future d’un gouvernement « jeune », « formé de technocrates » chargés d’assurer la transition jusqu’à l’écriture d’une nouvelle Constitution et la convocation d’« élections libres et démocratiques ». Et fait la promesse de l’« avènement d’une seconde République » « d’ici à la fin de l’année ».

« Aucunement la solution »

Ces propositions ont été rejetées en bloc par l’opposition qui cherche à peser sur les événements. « Le pouvoir en place ne peut plus continuer à travailler en dehors de tout cadre constitutionnel et contre la volonté du peuple. Il n’est pas habilité à diriger la période de transition. Pis, son maintien en tant qu’autorité de fait constitue un danger pour la stabilité et la sécurité du pays », ont averti mercredi, dans un communiqué commun, les principaux partis islamistes – MSP (tendance Frères musulmans) et El-Adala –, le mouvement de l’ancien premier ministre Ali Benflis et des personnalités comme l’ancien ministre de la communication, Abdelaziz Rahabi, ou l’avocat et défenseur des droits de l’Homme Mustapha Bouchachi.

La nomination du ministre de l’intérieur sortant Noureddine Bedoui au poste de chef du gouvernement et de l’ancien ministre des affaires étrangères Ramtane Lamamra à un poste de vice-premier ministre nouvellement créé renforcent aux yeux des opposants l’image d’un pouvoir qui chercherait avant tout à gagner du temps pour se maintenir.

« Bedoui et Lamamra sont deux figures importantes du régime qui ne représentent aucunement la solution au problème posé par les Algériens qui souhaitent un changement de régime », déclarait jeudi au Monde Soufiane Djilali, le président de Jil Jadid (« Nouvelle génération »), très actif dans le mouvement Mouwatana (« Citoyenneté »), qui regroupe des organisations politiques et des membres de la société civile opposés au cinquième mandat.

« C’est un subterfuge. Une concession qui ne vise qu’à perdurer et à gérer l’après-mandat que les Algériens rejettent et [à] se maintenir au pouvoir d’un pays qu’ils ont dénudé de toute forme juridique. Cette “transition” ne s’appuie sur aucun élément constitutionnel », accuse M. Djilali, pour qui Abdelaziz Bouteflika « se pense comme un souverain. Il s’est mis lui-même dans l’illégalité. Le 28 avril, il ne pourra plus se targuer d’être président, il n’aura plus aucune légitimité. Pas même celle, entachée d’irrégularités, de la précédente présidentielle ».

« Manière calme »

Un maintien du président Bouteflika à son poste au-delà de cette date butoir, qui marque le terme officiel du quatrième mandat, paraît en effet difficilement justifiable sur le plan légal. Noureddine Bedoui et Ramtane Lamamra ont, eux, balayé la question de l’illégalité avec une pirouette : le président n’aurait fait que « répondre à la volonté du peuple ».

La tête bicéphale de l’exécutif feint ainsi d’ignorer la principale revendication de la rue – le départ de M. Bouteflika –, alors que les Algériens mobilisés cette semaine remettent désormais en cause l’ensemble de la classe politique issue du régime. « Il faut sortir de cette crise de manière calme et en veillant à la stabilité du pays », espère pourtant Noureddine Bedoui.

Il n’est pas certain qu’il soit entendu. A la veille de la manifestation de vendredi, le traditionnel slogan « non au cinquième mandat » a cédé la place à un nouveau cri de ralliement sur les réseaux sociaux. Bien plus radical. « Qu’ils dégagent tous. »