Editorial du « Monde ». Depuis l’été 2018, Emmanuel Macron avait franchi tous les cercles de l’enfer. L’affaire Benalla avait jeté le doute sur son exemplarité. La démission de Nicolas Hulot sur sa sincérité (écologique). L’hésitation quant au prélèvement à la source sur son efficacité. Le départ de Gérard Collomb sur son autorité. Enfin les « gilets jaunes » sur sa légitimité. Lui qui avait disserté sur la « figure du roi » et son empreinte dans l’inconscient national se retrouvait poursuivi, sur les ronds-points de la colère, par la haine des uns et la guillotine symbolique des autres.

Depuis deux mois, par la grâce du grand débat qu’il a engagé avec le pays et porté à bout de bras, le président de la République s’est offert un purgatoire – la politique ne respectant pas les canons de l’Eglise, l’on peut parfois y échapper à l’enfer. Battant (modérément) sa coulpe, il a fait preuve d’assez d’humilité, mais aussi de pugnacité et d’habileté, pour se faire pardonner ses péchés, ou du moins quelques-uns d’entre eux.

Tous ceux qui, en janvier, brocardaient une grossière opération de diversion ou dénonçaient une tentative d’enfumage en sont pour leurs frais. Quant aux « gilets jaunes », qui clament tous les samedis « On lâche rien », ils ont été éclipsés et marginalisés par cet exercice démocratique sans précédent.

Changement de philosophie

Le président a donné la parole aux Français. Ils l’ont prise. Par centaines de milliers, ils ont envoyé leurs contributions, participé aux réunions publiques organisées de tous côtés, rempli des cahiers de doléances, exprimé leurs revendications, imaginé un avenir meilleur. Et tous les observateurs ont souligné la diversité des conditions des participants à cette grande conversation nationale.

Alors que se termine, le 15 mars, la phase principale du débat (des conférences citoyennes régionales, puis des débats au Parlement devant le prolonger et le synthétiser jusqu’au début du mois d’avril), Emmanuel Macron n’a pas, pour autant, gagné le paradis. Pour espérer y parvenir, il va devoir démontrer qu’il n’a pas seulement écouté mais entendu le pays, qu’il est capable de désamorcer son scepticisme et de lui apporter des réponses à la hauteur de ses attentes.

Le défi est périlleux. En effet, à en juger par ce qui s’est exprimé sur le terrain, les Français exigent de leurs gouvernants respect, proximité, efficacité et justice. A leurs yeux, cela équivaut, peu ou prou, à un changement de philosophie de l’action publique et politique. De façon plus concrète, et ils rejoignent, là, les revendications des « gilets jaunes », ils réclament des mesures qui percutent, bien souvent, la politique conduite par le gouvernement depuis 2017 et ses contraintes budgétaires : amélioration du pouvoir d’achat des catégories modestes et des retraités, équité fiscale grâce, notamment, au rétablissement de l’impôt sur la fortune mobilière, réarmement des services publics de proximité, en particulier ceux de la santé ou de l’éducation, désenclavement de la France périphérique et rurale…

Le grand débat proposait aux Français un audacieux quitte ou double. Son succès oblige désormais Emmanuel Macron à « doubler » la mise, s’il ne veut pas provoquer une déception à la hauteur des espoirs qu’il aura pu faire naître. Ce n’est pas seulement affaire d’imagination, mais de courage. Celui de dépasser une conception par trop technocratique et centralisée de l’action. Celui, quoi qu’il en dise, de modifier son cap pour réinventer un projet de société.