Les partisans du Brexit marchent pendant la première étape de leur mobilisation, à Sunderland, le 16 mars 2019 / ANDY BUCHANAN / AFP

L’ombre des gilets jaunes planait au-dessus de Middlesbrough dimanche 17 mars. Alors qu’une centaine de « marcheurs pour le Brexit », partis la veille de Sunderland, un peu plus au nord, entraient dans la petite ville du nord-est de l’Angleterre, beaucoup faisaient allusion au mouvement de révolte français.

« Si le Brexit n’a pas lieu, on va voir les gens descendre dans la rue et faire comme eux », avertit Richard Tice, homme d’affaires proche de Nigel Farage, et organisateur de la marche. « Ce qui se passe en ce moment est une trahison, s’énerve Trevor Agnew, un habitant local qui a rejoint la marche pour la journée. Le Brexit doit avoir lieu le 29 mars, comme prévu, sinon on va se retrouver avec une situation similaire à celle de la France. »

Les marcheurs ont entamé ce week-end une randonnée de 430 kilomètres qui doit se finir à Londres le 29 mars. Une cinquantaine d’entre eux, venus de tout le Royaume-Uni, fait le chemin dans son intégralité. A chaque étape, des soutiens locaux les rejoignent. La majorité de protestataires est masculine et plutôt âgée, mais un peu tous les profils se côtoient : des électeurs conservateurs, quelques travaillistes, des soutiens du UKIP, le parti europhobe, quelques jeunes…

« On est en train de nous voler le Brexit »

Ces partisans du Brexit regardent avec grande inquiétude la bataille de tranchées de la chambre des communes. La semaine dernière, les députés ont voté pour demander une extension de la date butoir du 29 mars. Seule sa durée n’est pas déterminée.

Theresa May doit soumettre au vote pour la troisième fois son accord sur le Brexit cette semaine, peut-être dès mardi. Si les députés l’approuvent, elle va demander une extension limitée, sans doute de trois mois, le temps de terminer le processus parlementaire nécessaire à la ratification. S’ils le rejettent, la première ministre britannique menace de demander une longue extension, repoussant aux calendes grecques la sortie effective de l’Union européenne. Avec le risque que le Brexit finisse par devenir si distant qu’il ne se concrétisera jamais.

Nigel Farage, partisan du Brexit, pendant la marche de Sunderland à Londres, à Hartlepool, en Grande-Bretagne, le 16 mars 2019. / SCOTT HEPPELL / REUTERS

« Le Brexit est en train de nous échapper, et c’est pour ça que nous marchons », explique Richard Tice. En passant sur le pont entrant dans Middlesbrough, balayé par un vent à décorner les bœufs, les marcheurs ont pu mesurer le soutien intact de la population locale. Les voitures klaxonnent leur approbation, des passants applaudissent spontanément, des riverains lèvent les bras en signe de victoire. La petite ville, qui a voté à 65 % en faveur de la sortie de l’Union européenne en juin 2016, ne semble pas avoir profondément changé d’avis.

Helen est venue recevoir le groupe de randonneurs au Blue Bell, le pub qui marque le point d’arrivée de l’étape. « On est en train de nous voler le Brexit », enrage-t-elle. Comme beaucoup, elle ne supporte pas le ton qu’elle juge arrogant des anciens « remainers ».

« Ils nous expliquent qu’on est trop idiots et qu’on ne savait pas pour quoi on votait. Et maintenant, ils vont repousser la date du 29 mars. Ma crainte est qu’ils vont encore la repousser après et que ça va finir par nous échapper complètement. »

Elle se dit favorable à aller occuper les ronds-points. Son compagnon James, électricien, tout aussi convaincu de l’intérêt du Brexit qu’elle, ne partage pas cet appel aux armes. « Ce n’est tout simplement pas dans la tradition britannique », explique-t-il.

Trahison

La sourde colère des marcheurs vient d’un profond sentiment de trahison. Le référendum était censé écouter leur point de vue, et voilà que les « élites » font tout pour les bâillonner, estiment-ils. « C’est une opération de sabotage, explique Marion Woodward, une Londonienne qui participe à l’ensemble de la randonnée. On nous dit que tous les votes sont égaux, mais clairement, certains sont plus égaux que d’autres. »

Sa colère vise autant Londres que Bruxelles : « L’UE est une organisation dont on ne peut pas sortir sans se faire tirer une rafale de mitraillette dans les genoux. Ca s’appelle une mafia. » Gary Vallier, venu de Brighton, se dit très inquiet pour la démocratie britannique.

« Un tel écart entre ce que veulent les électeurs et ce que font les députés est dangereux. On voit bien leur tactique : écraser le peuple jusqu’à ce qu’on dise, “d’accord, stop, on abandonne”. »

Contre-manifestation

A chaque étape des marcheurs, une petite contre-manifestation est organisée par les partisans d’un deuxième référendum. Une douzaine de personnes étaient présentes à Middlesbrough, venues apporter des cœurs rouges avec, en leur centre, des slogans sur les bienfaits des règles européennes. « Nous aimons les droits de travailleurs » ; « Nous aimons l’air propre » ; « Nous aimons nos amis et nos voisins. »

La rencontre des deux manifestations, sous l’œil vigilant de quelques policiers, s’est bien passée ce dimanche. La veille, le ton était monté et quelques échauffourées mineures avaient eu lieu. La présence de Nigel Farage, charismatique et clivant leader des Brexiters, y était pour beaucoup.

La présence des tenants du deuxième référendum est cependant révélatrice. Pendant la campagne du premier vote, en 2016, l’énergie était du côté des partisans de la sortie de l’UE. Aujourd’hui, si les Britanniques n’ont guère changé d’avis, l’enthousiasme a changé de camp. Les Brexiters se mettent à douter que leur rêve se concrétise, tandis que leurs opposants se prennent à espérer qu’un deuxième référendum sera finalement organisé. « Il faut dire aux dirigeants européens de donner beaucoup de temps aux Britanniques, explique dans un sourire Phil Hewitt, l’un d’entre eux. Plus ce sera long, moins il est probable que le Brexit ne se réalise. »

Brexit : le Parlement britannique vote à nouveau le rejet de l'accord
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