Tribune. Le gouvernement burundais a forcé, le 28 février, le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme à faire ses valises et à quitter le pays. Ce bureau fonctionnait à Bujumbura depuis les années 1990 et le violent conflit intercommunautaire qui avait fait plus de 300 000 morts. Il avait aidé à mettre sur pied le cadre institutionnel de promotion des droits humains dans le pays après cette guerre fratricide. Cet ordre du gouvernement est le dernier coup porté dans l’actuelle offensive contre les droits humains, qui a débuté après l’annonce controversée du président Pierre Nkurunziza en 2015 de briguer un troisième mandat présidentiel. Les services de sécurité d’Etat et des membres des Imbonerakure – la ligue de jeunes associée au parti au pouvoir – ont tué, torturé, violé, arrêté, tabassé et intimidé des membres des partis politiques d’opposition et d’autres personnes perçues comme étant opposées au gouvernement.

La stratégie du gouvernement a été de faire tout son possible pour maintenir le monde dans l’ignorance sur la situation au Burundi. Mais mardi 12 mars, la Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi a informé le Conseil des droits de l’homme, lors de sa première session de l’année qui se tient en ce moment à Genève, qu’à sa connaissance, « les auteurs présumés des graves violations et des crimes internationaux commis depuis 2015 n’ont pas été amenés à en répondre devant la justice et occupent toujours des postes à responsabilité au sein des forces de sécurité et de défense ou des Imbonerakure ».

« Composition ethnique »

Mais informer le monde de ce qu’il se passe au Burundi est maintenant beaucoup plus difficile. Tout citoyen burundais travaillant ouvertement sur les questions de droits humains s’expose au risque d’être arrêté, placé en détention, voire pire. Par conséquent, les organisations et les médias burundais indépendants doivent désormais travailler dans la sécurité de l’exil. Chaque semaine, ils recueillent et publient des informations sur de nouvelles sérieuses violations des droits humains au Burundi.

Le gouvernement a également chassé du pays les médias internationaux et les organisations de défense des droits humains, ou les a empêchés d’y entrer. En septembre 2018, il a suspendu les activités de toutes les organisations non gouvernementales (ONG) internationales, dont certaines apportaient une assistance vitale à la population, et leur a ordonné de lui fournir la « composition ethnique » de leur personnel burundais. Ceci constituait une ligne rouge à ne pas franchir pour beaucoup d’entre elles, qui craignaient que le gouvernement ne s’ingère dans leurs activités ou même s’en prenne à des membres de leur personnel appartenant à certains groupes communautaires. Plusieurs organisations ont donc quitté le pays.

Dans ce contexte, les institutions nationales se sont abstenues de documenter la répression, et encore plus de tenter de la modérer. La Commission nationale des droits humains, qui avait mis en lumière les abus du gouvernement et montré quelques signes d’indépendance avant la crise, reste désormais silencieuse. Elle a été rétrogradée du statut « A » au statut « B » en avril 2018, quand l’organe de l’ONU chargé d’accréditer les institutions nationales de protection des droits humains a déclaré qu’elle avait failli à sa responsabilité de s’exprimer publiquement « en réponse aux allégations crédibles selon lesquelles de graves violations des droits humains avaient été commises par les autorités gouvernementales ».

Incapables de gérer la crise

Les institutions régionales se sont montrées incapables de faire face à la crise des droits humains au Burundi. En 2016, le gouvernement a empêché des observateurs de l’Union africaine (UA) d’évaluer la situation en matière de droits humains et, depuis lors, cet organe régional s’est abstenu d’en discuter. Le dialogue sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est est au point mort et on ne perçoit guère d’intérêt pour la recherche d’une autre formule.

Alors que les abus commis par les forces de sécurité de l’Etat se généralisaient en 2016, Bujumbura avait débuté des procédures pour se retirer de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI). Mais la CPI avait annoncé, le 25 octobre 2017, deux jours avant que ce retrait ne prenne effet, qu’elle enquêterait sur les crimes commis depuis avril 2015, et demeure compétente pour statuer sur les crimes commis au Burundi avant son retrait.

Le départ du bureau du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme un an seulement avant les élections de 2020 – bien que ses activités soient suspendues depuis octobre 2016 – illustre bien la poursuite des efforts du gouvernement burundais pour se soustraire aux regards de la communauté internationale.

En 2018, les autorités burundaises ont déclaré persona non grata les membres de la Commission d’enquête de l’ONU. En 2017, le gouvernement avait déjà menacé d’engager des actions en justice contre ses membres. Malgré le manque d’accès direct, la Commission a réussi à recueillir des éléments de preuves et à faire état de constats encore plus incriminants, y compris de crimes contre l’humanité. Le 12 mars, elle a exhorté les membres du Conseil des droits de l’homme à observer le processus électoral de 2020 avec la « plus grande vigilance ». Aujourd’hui, cette Commission est le seul mécanisme international de surveillance qui fournisse des informations régulières sur la répression au Burundi.

Pouvoir discrétionnaire

La Commission a mis l’accent sur des cas de violences sexuelles « apparemment encouragées par le climat général d’impunité prévalant dans le pays » et sur l’implication directe de membres des Imbonerakure dans « la majorité des violations documentées par la Commission, y compris des violences sexuelles ». En outre, elle a exprimé sa préoccupation au sujet d’actes apparents d’extorsion de fonds commis auprès de la population, à laquelle il est régulièrement demandé, de façon obligatoire ou prétendument volontaire, de fournir des contributions financières ou en nature aux élections de 2020, ainsi que des menaces, manœuvres d’intimidation et agressions commises contre des réfugiés qui reviennent volontairement au Burundi.

Le représentant du gouvernement a répondu à la Commission en rejetant publiquement cette intervention orale. Ce n’était pas inattendu.

Le gouvernement a même refusé de travailler avec trois différents experts de l’ONU dont il avait pourtant approuvé le mandat « d’assistance technique ». Il a préféré révoquer leurs visas et les expulser en mai 2018. Jusqu’en décembre, le gouvernement burundais était membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, un poste qui confère la responsabilité de coopérer avec l’ONU. En réalité, il a démontré autant de mépris pour les droits humains en tant que membre du Conseil qu’il le pratique au niveau domestique.

Les autorités essaient d’écrire l’Histoire en limitant l’information en provenance du pays. L’absence d’informations sur les violations des droits humains ne résulte pas de l’avènement de la paix ou du progrès. Le silence craintif qui règne est plutôt dû à l’absence de contrôle sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Le gouvernement veut maintenir le monde dans l’ignorance au sujet des abus qui se poursuivent. Mais Bujumbura peut fermer les portes du pays, mais il ne pourra pas masquer la répression. Comme le démontrent la Commission d’enquête et les militants qui ont choisi l’exil pour continuer à travailler, celle-ci ne fait que s’aggraver. Ce n’est pas le moment de détourner le regard.

Lewis Mudge est directeur pour l’Afrique centrale auprès de la division Afrique de l’organisation non gouvernemetale Human Rights Watch.