S’il s’agit d’un ballon d’essai, il n’est pas lancé dans un ciel serein. Alors que les premières décisions à la suite du grand débat sont attendues dans les prochaines semaines pour tenter de mettre fin à la crise des « gilets jaunes », Agnès Buzyn, la ministre des solidarités et de la santé, a jeté le trouble, dimanche 17 mars, en s’aventurant sur un terrain explosif : celui de l’âge légal de départ à la retraite, aujourd’hui fixé à 62 ans. Lors du Grand jury RTL-Le Figaro-LCI, elle a en effet envisagé de « proposer un allongement de la durée de travail » dans le cadre de la réforme qui vise à mettre en place un système universel.

Considérant que le problème ne se posait plus en termes financiers, Emmanuel Macron avait pourtant promis, durant la campagne présidentielle, de ne pas toucher à ce paramètre. Ce que Mme Buzyn a rappelé, dimanche. Mais questionnée sur un recul à 65 ans de l’âge de départ à la retraite, elle a indiqué ne pas être « hostile » à ce que cette piste soit étudiée. « Je suis médecin, je vois que la durée de vie augmente d’année en année, a-t-elle argumenté. Est-ce que (…) nous allons pouvoir maintenir sur les actifs le poids des retraites qui vont augmenter ? »

Des propos formulés « à titre personnel », a-t-elle précisé en fin d’émission, en ajoutant qu’une telle hypothèse avait émergé à la faveur du grand débat : « A partir du moment où les Français l’évoquent, c’est sur la table. » Un discours également tenu à Matignon. « Le premier ministre a aussi dit, vendredi sur Europe 1, que c’était un sujet de débat public », plaide-t-on dans l’entourage d’Edouard Philippe.

Prudence insigne

Bien qu’elle ait vocation à porter la réforme lors de son examen au Parlement – cette année, en principe –, Mme Buzyn s’était peu exprimée sur le sujet jusqu’à présent. Pour l’heure, le pilotage du dossier est assuré par Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire à la réforme des retraites, qui s’est montré d’une prudence insigne. Interrogé par Le Monde, il se dit « très surpris » des propos de la ministre, avec qui il s’est entretenu dimanche soir.

« J’ai vu émerger ce débat, ce n’est pas le mien, poursuit-il. Mais si nous devions faire évoluer notre réflexion, au-delà de cette question, ce sera en toute transparence et non pas au travers d’une déclaration ou d’une émission. »

M. Delevoye rappelle l’engagement qui a été pris de maintenir l’âge de départ à la retraite à 62 ans.

La sortie de Mme Buzyn n’est pas passée inaperçue chez les syndicats. « Je suis surprise », lâche la vice-présidente de la CFTC, Pascale Coton. « Je ne comprends pas son intervention, qui me paraît décalée et injustifiée, enchaîne le président de la CFE-CGC, François Hommeril. C’est inquiétant. »

« La ministre est hors sujet »

Sur Twitter, le secrétaire général de FO, Yves Veyrier, a répliqué que « les masques tombent un peu plus sur les retraites ». Pour Frédéric Sève (CFDT), « la ministre est hors sujet. Les précédentes réformes ont déjà programmé une hausse de la durée d’activité qui suffit à tenir les régimes à l’équilibre à l’horizon 2030-2040. Et les évolutions récentes font état d’une stagnation de l’espérance de vie, c’est cela qui devrait inquiéter la ministre de la santé ! »

« C’est une provocation que de voir une ministre, en responsabilité sur ce sujet, tenir ce genre de propos, dénonce Régis Mezzasalma (CGT). Ça jette de l’huile sur le feu. »

Au sein du patronat, la réaction est évidemment inverse. « Mme Buzyn est-elle rattrapée par le principe de réalité ? Nous avons toujours dit que le fait de poser le principe des 62 ans comme un totem compromet, à terme, les équilibres financiers du système et risque de fabriquer des retraités pauvres, car leurs pensions seront faibles », commente Eric Chevée, de la Confédération des petites et moyennes entreprises.

Les déclarations de la ministre de la santé tombent à point nommé pour galvaniser les syndicats. Mardi 19 mars, la CGT, FO, Solidaires et d’autres organisations appellent à une journée d’action dont l’un des mots d’ordre porte sur les retraites.