La scène ne manque pas de sel. Mercredi 20 mars, dans la salle de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, l’amendement d’un député est projeté sur l’écran au mur. Celui du député Guillaume Chiche et de plusieurs de ses collègues qui proposent de « supprimer » un article, le premier et le principal d’une proposition de loi sur le droit de résiliation de contrats de complémentaires santé. Si la scène est particulièrement cocasse, c’est que la proposition de loi émane du groupe La République en marche (LRM), et que ceux qui s’y opposent sont eux-mêmes élus de la majorité.

Sur le papier, la raison d’être de ce texte paraît pourtant simple et basée sur des arguments louables : permettre aux clients de résilier plus facilement et sans frais leur contrat de complémentaire santé. Selon le rapporteur (LRM) Dominique Da Silva, cette proposition de loi constitue une mesure de « pouvoir d’achat » qui aurait la vertu d’inciter les acteurs de ce marché à baisser leurs prix. « Depuis 2010 les tarifs ont augmenté de 21 %, vous vous attaquez à un vrai sujet », a d’ailleurs reconnu le député Les Républicains (LR) Alain Ramadier.

Des doutes se sont exprimés sur les « effets pervers » d’une telle disposition

Pourtant, le texte de loi peinait à convaincre, mercredi, en commission des affaires sociales. Sur les bancs de tous les groupes politiques, des doutes se sont exprimés sur les « effets pervers » d’une telle disposition. « Je crains que votre proposition (…) risque de produire des effets non traités : l’augmentation des frais de gestion », a souligné le député LR Gilles Lurton. Agnès Firmin-Le Bodo (Agir-UDI-Indépendant) proposait, elle, d’introduire des « garde-fous » pour éviter le déclenchement d’une « guerre intestine entre les complémentaires au détriment de la couverture ». En ligne de mire, la crainte que les complémentaires ne développent des offres certes moins onéreuses mais prenant en charge un moins grand nombre de soins. « Cette concurrence risque de mettre de côté les plus fragile et de mettre à mal notre système de solidarité générationnelle », a défendu le socialiste Boris Vallaud.

Des doutes jusque dans la majorité

Des craintes « sans fondement », selon le rapporteur du texte. « Personne n’a envie de résilier pour moins bien et plus cher ! », a assuré Dominique Da Silva à ses collègues. « Je crois que vous êtes un peu doucement naïf » lui a reproché le député LR Stéphane Viry, appelant à la « prudence ». Plus tard, Mme Firmin-Le Bodo a même accusé la majorité d’évoluer dans le « monde des bisounours ». « Les gens ne savent pas comment ils sont couverts ! », a assuré celle qui est aussi pharmacienne, soulignant ainsi le risque que les patients n’adoptent de nouveaux contrats mais avec une couverture au rabais.

Ces doutes traversent aussi la majorité, comme en ont témoigné quelques prises de parole de députés LRM. A leur tête, Guillaume Chiche, député des Deux-Sèvres qui a dans sa circonscription la ville de Niort, siège de nombreuses assurances et mutuelles, mais qui est aussi l’un des fers de lance de l’aile gauche de la majorité. A l’unisson des communistes et des socialistes, mais aussi de quelques députés MoDem, il a exprimé les mêmes craintes que les députés des bancs opposés.

Le sujet avait déjà animé la réunion du groupe LRM à l’Assemblée la veille. « Beaucoup sont contre pour des raisons de forme », a pondéré Gilles Le Gendre, président du groupe LRM, lors d’une conférence de presse. En réunion de groupe, Guillaume Chiche avait déploré avoir appris l’existence de ce texte « dans la presse quotidienne régionale » alors qu’il s’agissait d’une proposition de loi émise par son propre groupe parlementaire. Face à la presse, M. Le Gendre a reconnu que ce texte n’était « pas clairement d’origine parlementaire ».

« C’est une proposition de loi qui nous est tombée dessus ! », a regretté Brigitte Bourguignon

Elle traduisait une annonce faite par le président de la République : le 18 décembre 2018, Emmanuel Macron avait reçu les mutuelles et les assurances à l’Elysée, avec pour objectif de faire peser sur eux une forme de pression alors qu’ils menaçaient d’augmenter leurs tarifs en raison de la future mise en œuvre du « reste à charge zéro » sur un certain nombre de soins. Chez les acteurs du secteur, le texte fait un tollé et ils l’ont fait savoir aux députés.

Lire l’analyse du responsable des études de l’UFC-Que choisir : « Le reste à charge zéro va se traduire par des cotisations supplémentaires »

« C’est une proposition de loi qui nous est tombée dessus ! », a regretté Brigitte Bourguignon, présidente LRM de la commission des affaires sociales, lors de la réunion de groupe, mardi 19 mars, estimant que cela posait « un vrai problème de forme ». D’autant que tous les députés ont été inscrits comme signataires par défaut – certains, en désaccord avec le texte, ont retiré depuis leur paraphe. Le groupe La République en marche a donc dû rassurer ses troupes pour permettre l’adoption, finalement sans difficultés, de la proposition de loi en commission, mercredi matin, avant un examen en séance prévu le 27 mars. Pour les convaincre, Gilles Le Gendre a rappelé à ses troupes que l’annonce du président de la République avait été faite dans la foulée des réponses à la crise des « gilets jaunes », en vue de redonner du pouvoir d’achat aux Français. Depuis, certains des députés qui avaient signé les amendements de M. Chiche, ont décidé de les retirer, comme l’a révélé un journaliste du journal en ligne Contexte.

« Il est possible que cette loi ne soit pas parfaite » a reconnu, lors des débats en commission, la députée LRM Monique Iborra, venue au secours du rapporteur, rappelant les « récriminations sur les mutuelles » des personnes âgées lors du grand débat national. Pour défendre sa proposition, la majorité s’est largement appuyée sur un sondage réalisé au mois de janvier révélant que 94 % des Français souhaitent pouvoir résilier leur mutuelle facilement. Une étude commandée à l’IFOP par Alan, une assurance santé arrivée récemment sur le marché.