L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Quand débute Dernier amour, Giacomo Casanova (Vincent Lindon) apparaît de dos, assis au bureau d’une vaste et sombre bibliothèque qui l’écrase. La carrure est large mais la voix fatiguée. Au château de Dux, en Bohême, où il s’est installé en 1785, sur invitation du comte Joseph Karl von Waldstein, l’homme aux mille vies est désormais ruiné, déprimé, raillé par les serviteurs mesquins de ces lieux isolés. Là, Casanova fait l’apprentissage de la solitude et entreprend l’écriture de ses Mémoires, Histoire de ma vie, qui seront publiés à titre posthume et en version censurée autour de 1825. A la jeune fille venue lui rendre visite, Casanova ne dissimule rien de sa tristesse et de sa lassitude, dont l’objet remonte à loin. Quand il n’avait alors que 38 ans et que lui fut donné d’aimer d’un amour douloureux qui marqua le début de sa décadence.

C’est à cette histoire, rapportée en flash-back, que s’attache le nouveau long-métrage de Benoît Jacquot, qui choisit de superposer à l’image de l’aventurier libre, séduisant et séducteur celle d’un pauvre hère amoureux, éconduit par une courtisane se refusant à lui. A cette version de la femme et du pantin, le film accorde peu de sensualité, et guère d’ambiguïté. Vincent Lindon encore moins, dont le jeu dépourvu de séduction désincarne plus qu’il n’incarne son personnage. L’effet produit confisque au récit l’expression de cette gamme de tourments contradictoires, de sentiments troubles qui naissent du désir, de l’amour, et de leur union possible ou empêchée. Et prive le spectateur d’une émotion qu’il attend en vain.

Une courtisane de 17 ans

Dès lors, bien peu du caractère de ce qu’il fut dans sa vie précédente n’émerge dans ce Casanova, que l’on retrouve au milieu de sa vie, lors d’un de ses séjours à Londres où il rencontre la Charpillon (Stacy Martin). Courtisane de 17 ans, celle-ci, si jeune soit-elle, connaît ses charmes, la faiblesse des hommes, les règles de la manipulation et du pouvoir. Elle en use et en vit, s’offrant avec générosité à ceux qui l’entretiennent. Exception faite de Casanova, auquel elle se promet et se refuse sans cesse afin qu’il puisse l’aimer « autant qu’il la désire ». Lui, à ce jeu, se perd, s’abîme aux caprices de la belle, tombe amoureux fou au point de ne plus trouver goût aux autres femmes et de vouloir se suicider.

Le cinéaste aime les héroïnes de ses films. La Charpillon bénéficie de cet attrait qui fait d’elle la figure la plus troublante de « Dernier amour »

A l’inverse du Casanova de Fellini (1976), œuvre iconoclaste et crépusculaire dans laquelle le cinéaste italien, en montrant le séducteur italien sous son aspect le plus abject, ne cachait rien de l’aversion qu’il éprouvait à son encontre, Dernier amour est un film d’empathie. Nul doute, en effet, que Benoît Jacquot ait trouvé dans cet épisode de la vie romanesque de Casanova matière à traiter et mettre en scène ce qui le touche : un héros qui s’éteint, sacrifiant à l’amour sa flamboyance, et une femme menant le jeu, radieuse dans son extrême jeunesse. Le cinéaste aime les héroïnes de ses films. Dans ce décor londonien du XVIIIe siècle, la Charpillon bénéficie de cet attrait qui fait d’elle la figure la plus troublante du film. Grâce en partie à la candeur maline que lui prête Stacy Martin, jeune actrice mise en lumière il y a quelques mois dans Amanda, de Mikhaël Hers, et dans Le Redoutable (2017), de Michel Hazanavicius.

A l’histoire intimiste qui se joue dans les salons feutrés de Dernier amour, la mise en scène apporte un certain relief par la rigueur du cadre, la précision des postures et du déplacement des corps dans le champ, la subtilité des éclairages qui préserve l’image des effets académiques. Le scénario, coécrit par Benoît Jacquot, Jérôme Beaujour et Chantal Thomas – romancière, essayiste, auteure de Casanova. Un voyage libertin (Denoël, 1985) –, s’inscrit dans la même veine, qui réanime, avec élégance et modernité, la langue du XVIIIe siècle. Ces qualités ne suffisent pas, hélas, à pallier l’absence de chair et de sentiment dont souffre le film. Une absence qui nous laisse un peu au bord de la route.

DERNIER AMOUR - Bande-annonce
Durée : 02:02

Film français de Benoît Jacquot. Avec Vincent Lindon, Stacy Martin, Valeria Golino (1 h 38). Sur le Web : diaphana.fr/film/dernier-amour