Que dire après que le petit pays que Jacinda Ardern dirige, d’ordinaire connu pour la tolérance de ses quelque 5 millions d’habitants et la quiétude de ses paysages insulaires, a été frappé par un attentat d’une violence inouïe et inédite ? La première ministre de la Nouvelle-Zélande a dû se poser la question en boucle depuis le massacre commis, vendredi 15 mars, dans deux mosquées de Christchurch, faisant cinquante morts parmi la communauté musulmane.

Quatre jours après le drame, la chef de l’Etat, tout de noir vêtue, a prononcé mardi 19 mars un discours très attendu devant le Parlement national, en plein cœur de Wellington. Rendant un hommage ému aux victimes de l’attentat, Jacinda Ardern a surtout promis de ne jamais prononcer un mot : le nom du tueur.

« Par cet acte terroriste, il recherchait beaucoup de choses, mais l’une d’elles était la notoriété. (…) C’est pourquoi vous ne m’entendrez jamais prononcer son nom. C’est un terroriste. C’est un criminel. C’est un extrémiste. Mais quand je parlerai, il sera sans nom. Je vous implore : prononcez les noms de ceux qui ne sont plus, plutôt que celui de l’homme qui les a emportés. »

« On ne devrait pas en parler de cette façon »

L’acte d’un terroriste a-t-il moins de portée si celui-ci n’est pas nommé ? Le débat est récurrent depuis que les attentats se sont multipliés ces dernières années dans les pays occidentaux. Pour certains, donner l’identité de quelqu’un contribue à l’humaniser et, de fait, provoquer l’empathie du public par identification. C’est ainsi que sur Twitter, le hashtag #sayhername (« dis son nom ») est né pour attirer l’attention du grand public sur les femmes noires victimes de violences policières, rendues invisibles par leur caractère anonyme. Mais si la logique s’applique aux victimes, faudrait-il, au contraire, taire le nom des bourreaux pour minimiser leur importance ?

Nicolle Beltrame, la mère du gendarme tué en France dans l’attentat de Trèbes du 23 mars 2018, est de cet avis. Au sujet du tueur de son fils, elle expliquait un an après au micro de RTL :

« Ce qui me dérange, c’est que l’on parle souvent des terroristes, en partageant leurs revendications nous leur faisons de la publicité. On ne devrait pas en parler de cette façon. On ne devrait pas donner leur nom, montrer leur visage. »

Car le nom d’un terroriste fait aussi partie d’un bagage propagandiste, brandi par ses soutiens pour en faire un martyr de la cause, et décupler la portée de son acte. En 2013, le magazine Rolling Stone avait ainsi fait polémique en plaçant à sa « une » le terroriste du marathon de Boston, dans une pose digne d’un mannequin. N’était-ce pas là montrer une image positive d’un responsable d’attentat meurtrier ?

C’est dans cette même logique de déconstruction de l’entreprise de propagande que plusieurs médias français, dont Le Monde, ont décidé, en juillet 2016, après l’attentat de Nice, de ne plus divulguer les photographies des terroristes extraites des documents de propagande ou de revendication de l’EI. L’idée était d’« éviter d’éventuels effets de glorification posthume », justifiait ainsi dans son éditorial le directeur du Monde, Jérôme Fenoglio.

Le risque des fantasmes complotistes

Mais anonymiser un terroriste n’est-il pas risqué ? « Il nous faut résister à cette course à l’autocensure et aux grandes déclarations d’intention », estimait ainsi, en 2016, Michel Field, alors directeur de l’information de France Télévisions, redoutant des « effets pervers ». A l’unisson, le directeur des rédactions du Figaro, Alexis Brézet, affirmait que « le nom des terroristes est un élément d’information objectif essentiel pour comprendre ce qui se joue sur notre sol, et notre devoir est de le porter à la connaissance de nos lecteurs ou de nos internautes. Ne pas le faire, ce serait alimenter les fantasmes complotistes de tous ceux qui estiment que les médias “nous cachent la vérité” ».

Derrière ces arguments pointe aussi la crainte de voir une société plonger dans une forme de déni collectif. Taire le nom d’un terroriste, n’est-ce pas renoncer d’une certaine manière à tenter de comprendre les mécanismes qui ont pu l’amener à commettre de tels actes ?

Si le débat de diffuser ou non le nom d’un terroriste n’est donc pas nouveau, Jacinda Ardern est la première responsable politique à le porter aussi haut, et à le trancher aussi clairement. Elle n’a toutefois pas demandé aux médias néo-zélandais d’en faire de même, et a promis qu’une enquête permettrait de déterminer le parcours du terroriste et les failles éventuelles de la part des services de renseignements nationaux. Restera donc surtout le symbole. « En Nouvelle-Zélande, nous ne lui donnerons rien, pas même son propre nom », a résumé la première ministre.

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