Thelma Aldana à Guatemala City, le 10 mars. / Oliver de Ros / AP

Pour beaucoup de Guatémaltèques, elle est celle qui a le plus fait dans son pays pour lutter contre la corruption qui ronge tous les rouages du pouvoir. Mais depuis le lundi 18 mars, l’ex-procureure générale Thelma Aldana, candidate à la présidentielle du 16 juin, est l’objet d’un mandat d’arrêt, accusée d’avoir recouru à des emplois fictifs.

Des poursuites qui, pour ses défenseurs, ont tout d’une persécution politique visant à empêcher la participation à l’élection de celle qui, quand elle était à la tête du parquet général du pays, a fait tomber un président, une vice-présidente et d’innombrables entrepreneurs et personnalités politiques corrompues avant de s’attaquer au chef de l’Etat actuel lui-même, Jimmy Morales.

Ex-présidente de la Cour suprême, cette magistrate de 63 ans a travaillé pendant quatre ans, entre 2014 et 2018, en tant que chef du parquet, aux côtés de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (Cicig), mise en place par l’ONU en 2006 pour démanteler les appareils de sécurité clandestins de la guerre civile – qui a fait environ 200 000 morts entre 1960 et 1996 – et lutter contre la corruption.

Pression de la rue

Ensemble, Mme Aldana et la Cicig ont mis au jour un réseau de corruption impliquant, entre autres, le président Otto Pérez (2012-2015). Ce général à la retraite ainsi que sa vice-présidente, Roxana Baldetti, ont été contraints de démissionner en septembre 2015 sous la pression de la rue et ont été emprisonnés dans l’attente de leur procès.

En août 2018, Mme Aldana, alors toujours en poste, a de nouveau mis en ébullition le monde politique guatémaltèque en demandant le retrait de l’immunité du président Jimmy Morales. Avec le commissaire de la Cicig, le juriste colombien Ivan Velasquez, la procureure générale entendait ainsi pouvoir enquêter sur les accusations de financement illégal de la campagne électorale victorieuse du chef de l’Etat, qui avait pourtant fait du combat implacable contre la corruption son cheval de bataille.

Le président Morales, mis sous pression dès 2017 par Mme Aldana et la Cicig, qui mentionnaient les noms d’un de ses fils et de son frère dans une affaire de fraude, s’en est pris à la mission anticorruption de l’ONU, déclarant Ivan Velasquez persona non grata, retirant la protection policière dont bénéficient les fonctionnaires de la mission, puis annonçant purement et simplement la fin de l’accord avec la Cicig, une décision rejetée par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

A la faveur d’une décision de la Cour constitutionnelle qui a ordonné aux autorités de ne pas entraver son travail, la Commission a cependant l’intention de continuer son labeur jusqu’à la fin de son mandat, le 3 septembre.

« Opportunité »

Thelma Aldana avait annoncé sa candidature à l’élection présidentielle le 11 mars, sous les couleurs du parti Semilla. Celui-ci a été fondé dans la foulée de l’indignation suscitée par la mise en cause du président Perez. La candidature n’a été validée par le Tribunal suprême électoral que mardi 19 mars, quelques heures après le dépôt du mandat d’arrêt contre elle.

Elle est accusée, entre autres, d’emplois fictifs lorsqu’elle dirigeait le parquet, un délit administratif et non pénal, souligne l’avocat constitutionnaliste Oswaldo Samayoa, qui s’interroge sur « l’opportunité de telles poursuites juste au moment où Mme Aldana présente sa candidature ».

Thelma Aldana, qui a toujours nié les accusations, dénonce une « campagne de discrédit » contre elle. Selon M. Samayoa, sa candidature la protège théoriquement de poursuites le temps de la campagne et de l’élection.

Lors d’un entretien avec Le Monde en janvier, avant qu’elle se lance officiellement dans la course présidentielle, Thelma Aldana assurait : « Mon éventuelle candidature dérange les membres du “pacte de corruption” mené par le président Jimmy Morales et que la Cicig et moi avons dénoncés. Ils savent que je continuerai inlassablement à lutter contre la corruption. D’ailleurs, si j’étais encore procureure générale, Morales serait en prison, car il a violé les résolutions de la Cour constitutionnelle sur la Cicig ».

« On ne peut pas vivre à genoux »

Régulièrement menacée de mort, Mme Aldana vit sous haute sécurité et fait l’objet de mesures de protection de la Commission interaméricaine des droits humains. « Malgré le risque, je continue, car on ne peut pas vivre à genoux devant le crime organisé du pays, affirmait-elle. Si j’ai lutté pendant quatre ans contre ce crime, je peux continuer à le faire aujourd’hui. »

En septembre 2018 en Suède, Thelma Aldana et le chef de la Cicig avaient reçu le prix Rights Livelihood, qualifié de « Nobel alternatif », pour leur action contre la corruption au Guatemala.

« Ceux qui promeuvent le blocage de notre inscription [à la course présidentielle] ont oublié que le Guatemala n’est pas le même qu’il y a quinze ans [avant l’arrivée de la Cicig dans le pays], a tweeté Mme Aldana mardi. Cet espoir est né en 2015 et depuis lors, nous défendons les valeurs qui unissent les Guatémaltèques décents et nous disons au monde : #CorruptosNuncaMas [« plus jamais de corrompus »]. »