L’Agence allemande des réseaux a officiellement ouvert, mardi 19 mars, son appel d’offres pour l’équipement du pays en 5G. Les quatre grands opérateurs de télécommunication actifs outre-Rhin – Deutsche Telekom, Telefonica O2, Vodafone et 1 & 1 Drillisch vont se partager les fréquences ces prochaines semaines. Mais alors que l’Allemagne peut enfin se féliciter d’avoir bientôt un réseau plus fiable et plus rapide, c’est l’inquiétude qui dominait, mardi à Berlin. Un acteur indirect était au cœur des débats : l’équipementier chinois Huawei, finalement autorisé à fournir des éléments techniques aux opérateurs en lice.

Depuis des mois, la question agite les responsables politiques et les experts de sécurité du pays : faut-il autoriser le géant chinois à bénéficier d’un point de contact avec des infrastructures de télécommunication sensibles ? Le gouvernement a finalement refusé de bannir l’équipementier. Lors d’une conférence de presse, mardi, la chancelière allemande Angela Merkel a précisé sa position. Elle refuse d’exclure un prestataire uniquement parce qu’il vient d’un certain pays. « Jusqu’ici, de très, très nombreux pays ont utilisé la technologie Huawei » a-t-elle déclaré. « Nous devons donner une chance à chacun » sans être « naïf » pour autant. Le gouvernement a donc décidé non pas d’exclure mais de formuler des exigences en matière de sécurité. Sur cette question, elle estime qu’un accord européen serait « souhaitable ».

Angela Merkel est donc passée outre les avertissements et intimidations de ces dernières semaines. La plus spectaculaire est venue des Etats-Unis, ou plus précisément, de son ambassadeur en Allemagne, Richard Grenell. Ce proche du président américain Donald Trump, qui a multiplié depuis son arrivée à Berlin les interventions directes dans la politique intérieure allemande, a envoyé début mars un courrier au ministre de l’économie, Peter Altmaier. Si l’Allemagne ne bannit pas Huawei comme équipementier pour la 5G, écrit-il, les Etats-Unis pourraient réduire ou cesser leur coopération en matière de renseignement. Un ultimatum inouï, qui a suscité une vague de protestations à Berlin.

La Chine est le premier partenaire économique de l’Allemagne

Vendredi 15 mars, c’est du côté de l’OTAN que sont arrivées les menaces. Le commandant suprême des forces alliées en Europe, le général américain Curtis Scaparrotti, a déclaré que la sécurité de la communication des forces de l’Otan en Europe serait remise en question si Berlin persistait à ouvrir la porte à Huawei. Les Américains redoutent que le parti communiste chinois s’appuie sur la technologie de l’équipementier chinois à des fins d’espionnage en Europe. L’Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande ont décidé de bannir le Chinois pour cette raison.

En Allemagne aussi, les renseignements généraux ont fait part de leurs inquiétudes. Mais Berlin redoute surtout d’être pris en étau dans le conflit commercial sino-américain. Une exclusion de fait de Huawei pourrait conduire à des représailles sur le plan commercial, alors même que le gouvernement est en train de durcir sa position vis-à-vis des entreprises chinoises qui investissent en Allemagne. La presse allemande souligne que l’Australie a eu à essuyer des curieux problèmes de livraison de charbon depuis qu’elle a fermé la porte à Huawei, sans qu’un lien soit officiellement établi. La Chine est de loin le premier partenaire économique de l’Allemagne, qui a vu sa confiance en l’allié traditionnel américain fortement décliner depuis le début de l’ère Trump.

Huawei se défend énergiquement d’être « le bras technologique » de Pékin. « Notre technique n’a pas de porte dérobée qui mettrait en danger le réseau. C’est techniquement impossible. Le reproche vient essentiellement du gouvernement américain. Mais les raisons sont à chercher ailleurs », a déclaré Richard Yu, directeur chez Huawei, au quotidien Die Welt. Aucune preuve factuelle jusqu’ici n’a permis de justifier les craintes américaines. Pour les opérateurs eux-mêmes, il est difficile de se passer du matériel du géant chinois, qui est un leader de l’Internet mobile à haut débit. Et toute exclusion pourrait retarder l’équipement numérique du pays, dont l’industrie a urgemment besoin.