L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Souvenons-nous d’octobre 2015. Auréolé du Grand Prix du Festival de Cannes et bientôt de l’Oscar du meilleur film étranger, Le Fils de Saul, premier film d’un Hongrois inconnu âgé de 40 ans, sortait sur nos écrans. Il s’y agissait, en toute simplicité, de filmer en immersion totale les deux derniers jours de la vie de Saul Ausländer, Sonderkommando d’Auschwitz affecté à la maintenance de l’extermination de ses codétenus, alors qu’il concevait le projet dément d’enterrer selon le rite juif son fils abattu sous ses yeux. La sortie de ce film devait, en toute logique, affoler les boussoles cinéphiliques, comme à chaque fois qu’un réalisateur entreprend de filmer l’infilmable pourriture humaine que fut Auschwitz.

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Bardé d’une connaissance encyclopédique des films, des débats et des tabous portant sur le sujet, intervenant à une époque où celui-ci commençait à notablement se refroidir, possesseur en outre du plus précieux sésame que puisse rêver un réalisateur assez fou pour s’y confronter (la bénédiction urbi et orbi de feu Claude Lanzmann), Laszlo Nemes s’en sortait finalement avec les honneurs, nonobstant quelques grosses gênes aux entournures exprimées ici et là. Accessoirement, on se demandait un peu, après une entrée en matière située dans de tels confins, avec quoi Laszlo Nemes poursuivrait son chemin de cinéaste.

Noirceur irrémissible

La réponse se trouve dans Sunset, par lequel Laszlo Nemes tape de nouveau assez haut dans le défi cinéphilique, si tant est que ce « crépuscule » soit une réponse hongroise, c’est-à-dire d’une noirceur irrémissible, à L’Aurore (1927), de Murnau, chef-d’œuvre rédemptionnel du cinéma mondial s’il en est. Il s’agira ici, pour l’essentiel, d’entrer de nouveau dans la nuit, en cette veille de la première guerre mondiale, à Budapest. Une jeune fille, Irisz Leiter, revient dans la métropole de ce qui est encore pour peu de temps l’Empire austro-hongrois, afin d’y solliciter une place de vendeuse dans un luxueux magasin de chapeaux dont ses parents furent jadis les propriétaires. Le nouveau patron, Oszkar Brill, s’y oppose toutefois farouchement, pour des raisons qui s’éclairent petit à petit. Le frère d’Irisz, dont elle ignorait l’existence jusqu’à présent, a en effet tenté d’assassiner Brill.

Brill – figure du paternalisme bourgeois de l’époque possiblement compromis dans la traite de ses employées – n’en adopte pas moins, avec le temps, Irisz, laquelle se trouve rapidement partagée entre sa reconnaissance envers cet homme et le désir de rejoindre ce frère mystérieux, seulement entraperçu, qui œuvre clandestinement au renversement de la société en compagnie d’une bande de factieux dont l’idéologie n’est pas clairement déterminée.

Pas grand-chose n’est d’ailleurs clairement déterminé dans ce long-métrage, filmé selon le même système que Le Fils de Saul. Caméra plantée sur la nuque de l’héroïne, environnement flou, personnages impavides, feuilleté bruissant de la bande-son, subjectivité opaque. C’est donc le film d’un monde qui sombre sans qu’on sache vraiment pourquoi ni comment, sinon qu’il est entendu qu’il doive sombrer, et avec lui des personnages préalablement transformés en figures.

SUNSET de László Nemes : bande-annonce, le 20 mars au cinéma
Durée : 01:27

Film hongrois de Laszlo Nemes. Avec Juli Jakab, Vlad Ivanov, Evelin Dobos (2 h 21). Sur le Web : www.advitamdistribution.com/films/sunset