Une décision et une contre-attaque. Jeudi 21 mars au matin, le bureau du Sénat a décidé de saisir le parquet au sujet d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase. Cette saisine vise également trois autres hauts responsables de l’Elysée : Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, Patrick Strzoda, directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, et le général Lavergne, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République. Ils sont suspectés « d’omissions, d’incohérences et de contradictions » lors de leurs auditions devant la commission d’enquête du Sénat. Cette annonce ouvre une guerre ouverte entre le Sénat et l’exécutif, déjà à couteaux tirés après une longue série de passes d’armes entamée depuis la première audition de la commission d’enquête parlementaire. Face à ce nouveau rebondissement, Edouard Philippe a volontairement décidé de ne pas se rendre à la séance de questions au gouvernement prévue jeudi après-midi au Sénat.

Sans surprise, l’opposition a défendu le vote du bureau du Sénat. La sénatrice EELV de Paris Esther Benbassa, membre de la commission d’enquête, s’est réjouie de la nouvelle annoncée par ses collègues, et a encouragé le « Parlement libre et indépendant » sur Twitter. Jean-Marc Gabouty, qui partage avec elle les bancs du Sénat sous la bannière UDI, a pris le contre-pied de cette déclaration, estimant, au micro de Public Sénat, que « les conclusions reposent sur des interprétations voire des inexactitudes ».

« Qu’on en finisse »

Jeudi 21 mars, l’opposition apparaissait unanime sur la décision. « C’est à l’autorité judiciaire de dire ce qu’elle a à dire, et pour cela il faut naturellement qu’elle soit saisie (…). Il faut que tout cela aille à son terme, et qu’on en finisse », a commenté Guillaume Larrivé, le secrétaire général délégué du parti Les Républicains, invité de Radio Classique. Sur Twitter, Bruno Retailleau, président de ce même groupe au Sénat, n’a pas non plus épargné la majorité présidentielle, en déclarant sur Twitter être « très fier » de l’institution avant d’ajouter : « Et tant pis si l’idée même de contre-pouvoir n’est pas encore une notion familière pour certains. Ils finiront par s’habituer. » Quelques heures plus tard, le sénateur et ancien ministre socialiste Patrick Kanner a estimé que la décision prise était « sage ». A droite comme à gauche, ces déclarations unilatérales ont amené le sénateur centriste Hervé Marseille à dénoncer une « alliance de circonstance » entre Les Républicains et le Parti socialiste.

Quelques minutes après l’annonce de la décision du Sénat, la majorité a riposté. « Les députés LRM dénoncent l’instrumentalisation de l’affaire Benalla par le bureau du Sénat, qui s’érige une nouvelle fois en tribunal politique », a écrit sur Twitter Gilles Le Gendre, président du groupe LRM à l’Assemblée. Plusieurs jeunes membres de la majorité se sont au contraire mobilisés pour dénoncer la saisine du parquet. Le délégué général de La République en marche, Stanislas Guerini, a qualifié, auprès de l’AFP, cette nouvelle péripétie de « procès politique contre l’Elysée ». Un élément de langage repris par Aurore Berger, porte-parole du mouvement, et habituée à monter au créneau pour défendre le gouvernement. Sur Twitter, la députée a estimé que la décision du Sénat « détourn[ait] les institutions ». Les présidents du groupe LRM au Parlement, Gilles Le Gendre et François Patriat, ont également argué en ce sens.

« Coup politique »

Interpellé par Public Sénat au Palais du Luxembourg, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveau, a synthétisé la position de la majorité dans une allocution à charge contre le bureau des sénateurs : « Nous avons affaire à une décision politique qui ne repose sur aucun fondement, ni en fait, ni en droit (…). Nous ne sommes ni dans la raison, ni dans la mesure. Nous sommes dans le coup politique. »

L’Elysée a aussitôt déclaré à l’AFP que le palais ne souhaitait pas s’exprimer pour le moment. Le 21 février, Edouard Philippe était déjà monté au front et avait fustigé le rapport remis par la commission d’enquête du Sénat la veille, dénonçant une « appréciation très politique » et des conclusions « incompréhensibles » et « injustes ». Gérard Larcher avait, de son côté, confirmé avoir reçu un coup de téléphone du président de la République le 11 septembre 2018, à la veille de la reprise de la commission d’enquête. Une discussion au cours de laquelle Emmanuel Macron se serait montré critique vis-à-vis de la commission.