Edouard Philippe veut montrer que la barre est tenue. Le premier ministre devait décoller, vendredi 22 mars, pour un déplacement de deux jours en Guyane prévu de longue date. C’était sans compter sur l’acte XIX de la crise des « gilets jaunes » qui doit se jouer, samedi, en métropole, une semaine après le redoublement de violences de l’acte XVIII, qui a défiguré une partie des Champs-Elysées, à Paris. Matignon a donc annoncé, mercredi, que le chef du gouvernement restera dans la capitale pour superviser les opérations de maintien de l’ordre. Et donner l’image d’un pouvoir mobilisé, à rebours du procès en « incompétence » et « inconséquence » intenté par l’opposition.

Le député (Les Républicains) Eric Ciotti a décrit le ministère de l’intérieur de Christophe Castaner comme un « bateau ivre sans capitaine ». « Vous imaginez le premier ministre absent si la même chose que samedi dernier se reproduit ?, interroge un proche d’Edouard Philippe. Nous avons vécu une crise d’ordre public qui nécessite sa mobilisation. Il retournera aussi vite que possible en outre-mer. »

« Une grave faute »

Le pouvoir se veut alerte, donc. Et n’hésite pas à faire monter la tension. Mercredi, Emmanuel Macron a annoncé en conseil des ministres que les militaires de l’opération antiterroriste « Sentinelle » seront mobilisés de manière « renforcée » pour faire face aux « gilets jaunes ». Une annonce destinée à marquer les esprits, qui a choqué aussi bien à droite qu’à gauche. « Quelles que soient les circonstances, l’armée ne peut et ne doit assurer aucune tâche de police. Ce n’est pas son métier. Il n’y a pas d’ennemi de l’intérieur en France », a souligné le chef de file de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon.

« La dernière trouvaille du président de la République qui consiste à utiliser l’armée pour assurer le maintien de l’ordre est une grave faute », a évoqué, pour sa part, le sénateur LR, Bruno Retailleau avant de détailler ses critiques : « Les militaires ne sont pas formés aux techniques du maintien de l’ordre. Les militaires sont formés à se battre, à faire la guerre, à répondre par les armes à ceux qui les assaillent. Que se passerait-il si un groupe de black blocs s’en prenait physiquement à des militaires à proximité des Champs-Elysées ? »

Même si elles ont été rares, certaines voix ont défendu cette option. « J’ai vu que ça soulève une polémique, la présence des militaires. Je vais vous faire un aveu : je me suis demandé pourquoi ça n’avait pas été fait plus tôt, a ainsi affirmé, jeudi, l’ancienne ministre socialiste Ségolène Royal sur RTL.Certes les black blocs ne sont pas des terroristes, mais ils sèment la terreur. Et donc c’est la même chose. »

« Passer à l’offensive »

Cette annonce fait en tout cas suite à celle formulée par M. Philippe, lundi, d’une révision de la doctrine de maintien de l’ordre qui doit permettre aux policiers de se montrer plus offensifs. « Les forces de l’ordre ne sont pas payées pour se faire casser la gueule une fois par semaine, ce n’est pas dans la fiche de poste », justifie une ministre. « Vous voulez de l’ordre public ? Cela implique de passer à l’offensive. On peut craindre des blessés, voire des morts », prévient carrément un député de la majorité.

Face aux « gilets jaunes » – « des gens factieux qui veulent déstabiliser le gouvernement », selon un ministre –, le pouvoir a décidé de prendre l’opinion à témoin et mise sur un réflexe légitimiste en sa faveur. « Les gilets jaunes, ça ne m’a jamais beaucoup importé. Ce qui compte, c’est le soutien qu’ils ont dans l’opinion », assure un proche d’Emmanuel Macron. Selon un sondage Elabe pour BFM-TV, diffusé mercredi, 53 % des Français approuvent le mouvement. Une baisse de huit points en une semaine. « La sympathie au mouvement s’apparente à nos oppositions cumulées. On ne va pas convaincre un insoumis ou un type du Rassemblement national qu’on a raison », estime un député. Ne reste plus qu’à convaincre les autres de l’efficacité de l’action du gouvernement.

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