Le portrait du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame lors d’une minute de silence, le 28 mars 2018. / BERTRAND GUAY / AFP

Un an après les attentats de Trèbes et Carcassonne (Aude), le 23 mars 2018, l’enquête remonte peu à peu le fil des soutiens qui ont permis au djihadiste Radouane Lakdim de passer à l’acte et tuer quatre personnes, dont le gendarme Arnaud Beltrame.

Achat d’un couteau, dissimulation de preuves, influence idéologique… les juges d’instruction tentent de démêler l’écheveau des personnes qui auraient pu apporter leur concours à l’assaillant, un délinquant de 25 ans fiché « S » (pour Sûreté de l’Etat). Depuis l’interpellation le jour même de Marine Pequignot, sa petite amie qui avait publié sur Internet le matin une sourate promettant l’enfer aux mécréants, quatre hommes, soupçonnés d’avoir eu connaissance de ses projets ou pour certains de l’avoir aidé à des degrés divers, ont été mis en examen. Trois d’entre eux et la jeune fille de 19 ans sont aujourd’hui incarcérés.

Dans le huis clos du Super U de Trèbes

Le 23 mars 2018, après avoir accompagné sa petite sœur à l’école, Radouane Lakdim débute son parcours sanglant dans un sous-bois de Carcassonne connu pour être un point de rencontres homosexuelles : Jean Mazières, un viticulteur à la retraite, tombe sous ses balles et un jeune Portugais est grièvement blessé à la tête. Reparti avec la voiture de ce dernier, l’assaillant tire ensuite sur des CRS revenant de leur jogging, en blesse un à l’épaule, avant d’entrer dans le Super U de Trèbes en criant : « Allahou akbar ! » Près des caisses, il abat froidement le chef boucher, Christian Medves, 50 ans, ainsi qu’un client, Hervé Sosna, 65 ans, maçon à la retraite, puis prend en otage une employée du magasin.

Le lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, 44 ans, entame des négociations avec l’attaquant, qui se présente comme un « soldat » de l’organisation Etat islamique (EI). L’officier se substitue ensuite à l’otage, laissant son téléphone ouvert pour aider les forces de l’ordre.

Deux heures et demie plus tard, des tirs sont entendus dans le supermarché, poussant le GIGN à lancer l’assaut et à abattre Radouane Lakdim. Arnaud Beltrame, qui avait tenté de maîtriser l’attaquant, est retrouvé entre la vie et la mort, avec notamment une plaie gravissime à la gorge. Il meurt la nuit suivante et est célébré en héros lors d’un hommage national.

Beaucoup de zones d’ombre

« Tout l’enjeu de l’enquête est de savoir s’il a seulement été inspiré par la propagande ou l’idéologie, ou s’il a été incité par des individus en France ou à l’étranger », souligne Thibault de Montbrial, avocat de la famille Beltrame. En octobre, Sofian B., un jeune radicalisé de 20 ans soupçonné d’avoir fourni à Radouane Lakdim une justification idéologique pour commettre les attentats, a été mis en examen. Les deux hommes avaient à partir de décembre 2017 échangé des préceptes du djihad via Internet, selon une source proche du dossier.

Deux autres hommes ont aussi été mis en examen au même moment, également pour « association de malfaiteurs terroriste ». Le premier, le beau-frère de Radouane Lakdim, a été vu sortant avec un sac noir suspect du domicile de l’assaillant pendant l’attaque de Trèbes. Il a aussi réinitialisé son téléphone portable ce jour-là, ce « qui pourrait laisser supposer qu’il ait cherché à dissimuler sa connaissance du funeste projet de son beau-frère », selon des éléments de l’enquête, dont l’Agence France-Presse a eu connaissance.

Le deuxième homme, un ami de l’assaillant, a reconnu avoir accompagné Radouane Lakdim dans une armurerie pour acheter quelques semaines avant le couteau des attaques. Selon les enquêteurs, « il ne pouvait pas ignorer la radicalisation de Radouane Lakdim qu’il avait entendu défendre les attentats commis en France ». Un dernier suspect, qui s’était présenté sur YouTube comme le meilleur ami du tueur au lendemain des attaques, a été mis en examen en décembre pour « non-dénonciation de crime terroriste » et placé sous contrôle judiciaire. Radouane Lakdim lui avait confié plusieurs fois avoir « un projet ».

Depuis un an, « il y a eu un travail de fourmi, mais il reste beaucoup de zones d’ombre qui vont s’éclaircir au fur et à mesure des investigations », estime Jean Reinhart, avocat des parties civiles. « Nous devons être patients, dans ce type de dossier, les ramifications sont très lourdes et longues à établir. »