Le Fouquet’s a été incendié samedi 16 mars, en marge de l’acte XVIII des « gilets jaunes ». / BENOIT TESSIER / REUTERS

C’est la grande peur du gouvernement : une convergence − voire une entente − entre des « gilets jaunes » et des membres de la gauche extraparlementaire, celle qui adopte la stratégie du black bloc. Ce groupe affinitaire réunissant des militants radicaux et se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie, dont certains revêtent une tenue entièrement noire, masques ou cagoules compris, est désigné comme responsable d’une bonne partie des violences et des dégradations matérielles qui ont eu lieu sur les Champs-Elysées lors de l’acte XVIII, samedi 16 mars.

Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a d’ailleurs fustigé mardi au Sénat l’« immense complaisance » des manifestants envers les groupes radicaux. Sur les 10 000 personnes recensées par Beauvau, « il y avait 1 500 ultras et 8 500 casseurs », a-t-il lancé, pointant « les black blocs [qui] ne sont pas un épiphénomène », mais « une menace constante, puissante et répétée ».

Depuis le début du mouvement, ces groupes radicaux sont présents lors des manifestations parisiennes du samedi. Au départ, ils avaient attendu, « observé », les premières mobilisations, craignant une trop forte présence de l’extrême droite. Puis ils se sont décidés à y participer activement, chaque semaine dans la capitale, mais aussi dans des actions plus spécifiques, comme des actions de blocage, par exemple au marché international de Rungis.

Par définition, cette mouvance politique n’est pas structurée de manière pyramidale ou hiérarchique : chaque groupe a sa propre autonomie, décide de ses modes d’action et de la stratégie à adopter. Il n’y a donc pas eu de « coordination » générale avec les « gilets jaunes » pour décider d’agir samedi sur les Champs-Elysées, mais plutôt des rencontres au long cours, des situations propices pour passer à l’acte, notamment en raison de ce qu’ils appellent « la répression policière ».

« Environnement policier hostile »

« On a des liens avec certains groupes de “gilets jaunes” en banlieue. De là est venue l’idée d’échanges de pratiques d’autodéfense face à un environnement policier hostile », expliquent Camille et Alex (prénoms modifiés), qui militent dans la mouvance « antifasciste autonome ». En clair, ces échanges servent à définir quel matériel apporter en manifestation (masques ou lunettes de natation, coupe-vent noirs, casques, masques à gaz, mais aussi marteaux brise-vitre, par exemple), comment fabriquer une banderole renforcée (notamment des manches de pioche, qui maintiennent la bannière et peuvent servir en cas d’affrontement avec la police).

Le 16 mars, continuent ces antifascistes, était un objectif de longue date et certains groupes Facebook avaient prévenu que l’ambiance serait tendue. « On voulait fêter la fin du grand débat et répondre au discours sur l’essoufflement du mouvement. Ça a marché : le préfet a sauté, et le grand débat a été mis en échec. Il n’y a pas la même volonté pour l’acte XIX », jure Camille. Alex continue :

« Sur les blocages, on discute, les gens sont amenés à la politique. Ils sont favorables à ces actions. Samedi dernier, les gens acclamaient quand le Fouquet’s était attaqué, on se serait cru à un contre-sommet du G8 ! »

Selon leur récit, ils ont dû même intervenir pour calmer certaines ardeurs de manifestants un peu trop exaltés. « Nous ne sommes pas des éléments exogènes, il n’y a pas d’un côté l’extrême gauche et de l’autre les “gilets jaunes”. On vient aux assemblées générales, sur les blocages, on parle politique avec eux, tient à préciser Camille. La question hégémonique du mouvement est aujourd’hui sur le social, c’est normal qu’il y ait un rapprochement avec des militants qui se préoccupent de cette question. »

Agé d’une petite quarantaine d’années, Guy (le prénom a été modifié) répète aussi que « samedi, sur les Champs, il n’y avait rien, mais absolument rien d’organisé ou prévu ». Lui évolue dans une sphère proche du Comité invisible, collectif anonyme auteur, entre autres, de L’insurrection qui vient et de Maintenant (La Fabrique, 2007 et 2017). Il poursuit : « Le phénomène réel, c’est une radicalisation des “gilets jaunes”. Les pillages de samedi, il faut les interpréter au regard de l’absence quasi complète de pillages au début du mouvement. Les “gilets jaunes” respectaient les magasins, les travailleurs, etc., mais plus maintenant. »

Un cap aurait donc été franchi. Avec comme moteur une « une violence qui leur est infligée en premier lieu. Le Fouquet’s, c’est deux minutes après qu’un mec se prenne un Flash-Ball dans la gueule. Les pillages, c’est à chaque fois dans des reflux de gazages ». Pour lui, c’est évident : « Dans leur grande majorité, les “gilets jaunes” n’acceptent pas l’idée d’être gazés. Pour eux, ce n’est pas un truc de maintien de l’ordre anodin, c’est une offense et une humiliation et ça leur fait péter les plombs et ça légitime à leurs yeux le fait de répliquer. »