Editorial du « Monde ». Jean-Paul Delevoye va devoir montrer qu’il a les nerfs solides. Le haut-commissaire à la réforme des retraites, qui a déjà eu à gérer des situations difficiles quand il était Médiateur de la République, de 2004 à 2011, est confronté à une avalanche de déclarations gouvernementales contradictoires sur l’âge légal de départ à la retraite, qu’Emmanuel Macron, durant sa campagne, avait promis de maintenir à 62 ans.

Le 17 mars, Agnès Buzyn, la ministre des solidarités et de la santé, avait jugé, « à titre personnel », que « l’allongement de la durée de travail » pouvait être abordé dans le cadre du grand débat. Le 19 mars, elle avait rétropédalé, en assurant à l’Assemblée nationale qu’« aucune modification de l’âge minimal de départ à la retraite n’est envisageable, [même] sur la table des négociations ». Nouvelle volte-face de la ministre, le 21 mars : « L’âge, évidemment, est en discussion. »

Pour que la polyphonie tourne à la cacophonie, d’autres voix, très autorisées, se sont mêlées au concert. Histoire de rendre le brouillard un peu plus opaque, certains, comme le premier ministre, ont introduit dans le débat le financement de la dépendance, qui est pour M. Delevoye « un tout autre sujet », qui n’entre pas dans le cadre de la réforme des retraites. Edouard Philippe a d’abord certifié que la borne d’âge à 62 ans ne bougera pas, avant de s’interroger, visiblement au diapason de l’entourage du président de la République, pour savoir « s’il faut travailler plus longtemps » pour financer la perte d’autonomie, qui, avec le vieillissement de la population, est appelée à s’accroître.

Un certain nombre de principes déjà actés

Pour rajouter au trouble, d’autres ministres ont joué la mouche du coche. Celui des comptes publics, Gérald Darmanin, a vu dans l’idée de ne pas graver les 62 ans dans le marbre « une proposition très courageuse ». Et le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a eu recours à une formule alambiquée pour dire que « c’est une question qui est à la concertation ».

Depuis sa nomination, en septembre 2017, M. Delevoye fait preuve de beaucoup d’habileté et de prudence. Sachant que le sujet est explosif, l’ancien ministre chiraquien déploie des trésors de diplomatie pour ne pas braquer les syndicats. A la différence d’autres menées au pas de charge depuis l’élection de M. Macron, sa concertation ressemble à une concertation.

Le 10 octobre 2018, en concluant la première phase de ses discussions avec les partenaires sociaux, le haut-commissaire a acté un certain nombre de principes, comme la mise en place d’un régime universel par points se substituant aux 42 régimes existants (de base et complémentaires) et le maintien de l’âge légal de départ à 62 ans.

Jeudi 21 mars, lors d’un colloque au Sénat, M. Delevoye a affiché sa volonté de garder ce cap : « Il faut que les choses soient claires, a-t-il martelé, ces engagements ne peuvent pas être remis en cause. Sinon, je dois aussi en tirer les conséquences. »

Le gouvernement doit clarifier une fois pour toutes sa position. En soufflant le chaud et le froid, soit il fait preuve d’amateurisme, soit il donne le sentiment que la crise actuelle lui a fait perdre tous ses repères. « On se moque de qui ? », a tempêté Laurent Berger. Le secrétaire général de la CFDT a dénoncé « une espèce d’expression de gribouille ». Au passage, le gouvernement devrait réfléchir au fait qu’à 62 ans les deux tiers des salariés ne sont plus sur le marché du travail.