16 août 1944, rue Collin-d’Harleville, à Chartres. / ROBERT CAPA / MAGNUM PHOTO - ICP

France 5, dimanche 24 mars à 22 h 35, documentaire

Une jeune femme rasée, marquée au fer rouge sur le front, serre contre elle un nourrisson, conspuée par une foule qui l’entoure. Pris par le reporter-photographe hongrois Robert Capa (1913-1954) dans les rues de Chartres le 16 août 1944, le cliché a fait le tour du monde.

Image emblématique de cette épuration sauvage qui entache l’idéal de justice proclamé haut et fort, cette violence faite au corps des femmes, souvent accusées d’avoir couché avec des Allemands, la photo de Capa est publiée dans le magazine américain Life et bientôt reprise à l’envi.

Décryptant ce qui se joue dans l’image autant que ce qu’incarne Simone Touseau, la jeune mère, le documentaire de Patrick Cabouat et Gérald Massé a un double mérite. D’abord raconter comment s’est fixée la vision de cette violence collective d’une cruelle exemplarité, puis évoquer un destin singulier plus original que l’allégorie qu’on en fit.

Une image emblématique de cette épuration sauvage qui entache l’idéal de justice proclamé haut et fort

Engagé – comme le photographe Ralph Morse (1917-2014) – à la suite de la 7e division blindée, pour assurer la communication de la geste héroïque de l’US Army libérant la France, Capa repère dans les rues de Chartres, encore disputées entre groupes de résistants et forces d’occupation, cette jeune femme isolée qu’on doit réunir à d’autres coupables. Il la suit, prend les devants du sinistre cortège qui s’étoffe peu à peu, et choisit le cadrage qui fait de Simone une Vierge à l’enfant promise au calvaire. Cela suffirait à dire la violence collective et le drame intime.

Une leçon exemplaire

Mais depuis les travaux de Fabrice Virgili (La France « virile », Des femmes tondues à la libération, éd. Payot, 2004), de Luc Capdevila et quelques autres, la situation réelle de ces femmes honnies s’est précisée et les destins singuliers dépris des lieux communs. A commencer par celui de Simone Touseau, justement. Au terme d’une enquête minutieuse, Philippe Frétigné et Gérard Leray ont rendu son vrai visage la jeune femme dans La Tondue : 1944-1947 (éd. Vendémiaire, 2011).

Simone a grandi dans un milieu de petits commerçants conservateurs, au catholicisme sectaire, elle dessine des croix gammées sur ses cahiers en 1939, travaille bientôt pour les Allemands en tant qu’interprète, et adhère au Parti populaire français de Jacques Doriot. Elle tombe amoureuse d’un soldat cultivé de la Wehrmacht, le siège de Stalingrad le lui arrache et elle accouche à l’hôpital, son père lui refusant le toit familial.

Lire le focus (en 2013) : Le trésor de guerre de Robert Capa

Quand Chartres est libérée, ­Simone incarne ces collaboratrices particulières. Mais bientôt, on l’accuse aussi d’avoir dénoncé des voisins qui finirent en déportation. Même blanchie par la justice, qui tarde à trancher pour éteindre les haines, elle ne peut se remettre de cet ostracisme médiatique, et à deux reprises verra sa nouvelle vie ruinée par le souvenir de l’ancienne…

La Tondue de Chartres offre une leçon exemplaire, reconnue par le Prix de la mise en images 2019, qui lui a été décerné au Festival des créations télévisuelles de Luchon en février.

La Tondue de Chartres, documentaire de Patrick Cabouat (Fr, 2017, 55 min). www.france.tv/france-5