Moscou digère l’enquête Mueller à petite dose. Il a fallu quelques heures, le temps de partager des éléments de langage, avant que les autorités russes réagissent, prudemment, lundi 25 mars, sur les conclusions du procureur spécial américain, Robert Mueller. Son rapport écarte toute collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie lors de l’élection américaine de 2016, « en dépit de multiples efforts d’individus liés à la Russie ». Ainsi blanchi, le président américain exulte ; le Kremlin, lui, ne l’est pas et temporise.

Car si le document, présenté sous forme de résumé, exonère le chef de la Maison Blanche, il ne remet pas en cause, en effet, la réalité des tentatives de Moscou pour peser sur le scrutin qui a déjà conduit M. Mueller à inculper vingt-cinq ressortissants russes – douze pour le piratage présumé du Parti démocrate et treize autres pour avoir manipulé les réseaux sociaux afin de favoriser le candidat républicain. « C’est très difficile de distinguer un chat noir dans une pièce sombre, surtout qu’il n’y est pas », a réagi, lundi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, en insistant sur « une sorte de résumé qui ne contient rien de nouveau, si ce n’est la reconnaissance de l’absence de collusion ».

« La balle est dans le camp de Washington », a-t-il ajouté, interrogé sur la perspective, aléatoire, de rétablissement de relations plus sereines avec les Etats-Unis, en soulignant que cette balle avait été symboliquement remise à M. Trump – sous la forme d’un ballon de football – lors de sa rencontre bilatérale avec Vladimir Poutine à Helsinki le 16 juillet 2018. Dmitri Peskov a insisté :

« La Fédération de Russie n’a jamais voulu la détérioration de nos relations bilatérales par des actions volontaires imprévisibles, elle n’a jamais tenté de détruire les relations commerciales et économiques entre les deux pays en introduisant des restrictions illégales du point de vue du droit international. Elle n’a jamais été partisane, ni initiatrice de la destruction d’accords stratégiques très importants pour la stabilité et la sécurité du monde – je veux parler du traité FNI [sur les missiles à portée intermédiaire] et autres… »

« Honte pour la justice américaine »

Plus incisif, le ministère des affaires étrangères russe a publié dans la foulée un long communiqué, dans lequel il fustige le rapport Mueller, chargé, selon Moscou, d’étudier « la pureté de l’élection américaine ». « La principale conclusion – sur le fait qu’il n’y avait pas de collusion entre le quartier général de campagne de Donald Trump et la Russie – ne pouvait tout simplement pas être autrement », souligne la diplomatie russe, en dénonçant une « sale calomnie sans fondement » :

« Il est toutefois surprenant qu’une équipe de 19 avocats, 40 agents du FBI, experts légistes et autres employés [du FBI] ait consacré près de deux ans de travail au cours de laquelle 2 800 assignations à comparaître ont été émises, 500 témoins ont été interrogés et autant de perquisitions effectuées. C’est-à-dire que, pour réfuter la falsification évidente, d’énormes efforts et des moyens colossaux des contribuables ont été dépensés.
En ce qui concerne les mises en accusation préparées l’année dernière contre 25 citoyens russes pour justifier en quelque sorte les activités inutiles de l’énorme équipe d’enquête, elles semblent tout simplement ridicules. La motivation politique de ces affaires est tellement évidente que l’on peut les qualifier de honte pour la justice américaine. »

Malgré ces mises en accusation, la diplomatie russe affirme que « l’enquête de Mueller n’a pas non plus apporté de preuves de l’implication de Moscou dans les cyberattaques et d’autres tentatives de “saper la démocratie américaine”, comme on en accuse sans fin la Russie ».

Noyé par les réactions aux Etats-Unis, Moscou tente de se poser en victime d’une « lutte interne ». « Mueller n’a trouvé aucune preuve de collusion avec Moscou mais les démocrates vont quand même crier qu’il y en a une ; les maniaques de la théorie du complot n’ont pas besoin de faits, il leur faut des émotions pour marquer des points », raille le sénateur Alexeï Pouchkov sur son compte Twitter. « Tous ces mythes au sujet de la fameuse ingérence de la Russie n’étaient qu’un argument fictif pour continuer à faire pression sur notre pays », estime de son côté Leonid Sloutski, président de la commission des affaires étrangères à la Douma, la Chambre basse du Parlement russe.

Moscou aimerait que les investigations menées outre-Atlantique s’arrêtent ici mais ne se fait aucune illusion sur leur poursuite. La Russie redoute plus que tout la détermination des démocrates, qu’on ne cherche même plus à présenter autrement que comme des ennemis.