Ce rendez-vous est organisé au Luxembourg à l’invitation de la grande duchesse Maria Teresa et autour des Prix Nobel de la paix 2018, le docteur congolais Denis Mukwege et la yézidie Nadia Murad. / Christian Lutz / AP

Une quarantaine de victimes de violences sexuelles dans différents pays en guerre se sont réunies pour la première fois, mardi 26 et mercredi 27 mars, au Luxembourg à l’invitation de la grande-duchesse Maria Teresa et autour des deux Prix Nobel de la paix 2018, le docteur congolais Denis Mukwege et la jeune yézidie Nadia Murad, pour unir leurs forces et attirer l’attention de la communauté internationale sur le phénomène du viol utilisé comme une arme de guerre.

Cette conférence, précédée d’une retraite où ces femmes, issues de dix-huit pays, ont longuement partagé entre elles leurs souffrances, a permis de faire entendre des témoignages jamais ou rarement donnés en public. Elle a aussi été l’occasion pour la grande-duchesse, soutenue par toutes ces femmes qui se nomment « survivantes », de lancer un appel solennel à la communauté international. Un appel émis devant 1 200 participants à la conférence, le premier ministre du Luxembourg Xavier Bettel, la haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, et la représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour les violences sexuelles dans les conflits, Pramila Patten.

« Elevons nos voix »

Constatant que « les violences sexuelles s’étendent comme une épidémie » et que le viol, plus que jamais, « est devenu une arme de destruction massive de la population civile », la grande-duchesse, soutenue fermement par le docteur Mukawege, a appelé les citoyens de bonne volonté à exprimer, par tous les moyens possibles, leur solidarité.

« Elevons nos voix pour que la prévention des violences sexuelles devienne une des priorités de l’action de la communauté internationale et des dirigeants du monde entier (…) Nous ne pouvons pas accepter que le viol de guerre soit un des crimes les moins rapportés et les moins punis dans le monde, que les victimes soient rarement identifiées et que les exactions soient passées sous silence parce que les femmes ont peur de parler. »

Maria Teresa a insisté d’autre part sur l’urgence de « s’attaquer à la culture de l’impunité et la convertir en une culture de la dissuasion. Pour mettre fin à l’omerta, notre dénonciation doit devenir collective et mondiale ». Une urgence qui nécessite des moyens d’action renforcés pour s’attaquer à cette impunité des auteurs et commanditaires des crimes, mais aussi des financements pour conférer aux victimes un droit systématique à une prise en charge globale (médicale, psychologique, financière, juridique). Nous demandons, a-t-elle insisté, « la mise en place d’un mécanisme international de réparations équitable et ouvert à toutes les victimes de violences sexuelles ». Et de conclure : « la force de notre mobilisation collective aura un impact considérable sur la vie de milliers de femmes qui ont le droit, elles aussi, de vivre dans la dignité et le respect de leurs droits fondamentaux. Nous ne pouvons pas arrêter la guerre, mais ayons l’ambition de vouloir arrêter l’utilisation du viol comme arme de guerre. »

« Un droit humain »

Le docteur Mukwege, célébré par toutes les survivantes, quels que soient leur pays d’origine, comme le héros de leur cause depuis des décennies, a ensuite renchéri sur la nécessité d’une mobilisation internationale et sur l’importance des réparations. « Toutes les formes de réparation qui permettent aux victimes d’être reconnues et réhabilitées sont nécessaires pour leur permettre de recommencer leur vie. » Réparations sous forme symbolique ou mémorielle, et cette conférence articulée autour des survivantes en était un exemple. Mais aussi, bien sûr, compensation financière, ce qui nécessite, explique le docteur, la constitution d’un Fonds global de réparations capable d’intervenir chaque fois que l’Etat en cause ne peut ou ne veut procéder à la réparation. Un tel Fonds international « traduirait en actes palpables notre responsabilité humaine envers les victimes ». Il en a appelé lui aussi aux états et à la communauté internationale. Ce droit à réparations est tout simplement, a-t-il dit, « un droit humain ».

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Le médecin est alors revenu sur l’expérience de Panzi dont il dirige l’hôpital au Sud-Kivu depuis deux décennies et où plus de 50 000 femmes ont été soignées. Une prise en charge holistique qui permet aux victimes de trouver au même endroit des réponses à leurs problèmes médicaux, psychologiques, juridiques et socio-économiques et dont le modèle pourrait être dupliqué dans différents pays. Car le but est non seulement de guérir ces femmes meurtries et parfois mutilées, mais aussi de les éduquer, de leur donner une autonomie économique et de les rendre maîtresses de leur destin. « Les victimes ont un énorme potentiel de résilience. Elles ont le potentiel de transformer leur souffrance en pouvoir jusqu’à devenir des actrices de changement dans leurs communautés. »

Ces deux appels lancés à la communauté internationale ont été longuement applaudis et relayés par des femmes venues de nombreuses parties du monde : Colombie, Irak, Centre-Afrique, Kosovo, Libye, Ukraine, RDC et Nigeria. Quant aux représentantes de l’ONU, profondément touchées par les nombreux témoignages, elles se sont engagées à œuvrer pour plus de justice et à travailler plus que jamais à l’écoute et aux côtés des survivantes.