La déforestation ne passera pas par Thierry Laurey. L’entraîneur du Racing Club de Strasbourg (RCS) – opposé à Guingamp en finale de la Coupe de la Ligue, qui doit se jouer samedi 30 mars – n’est pas du genre à débiter de la langue de bois par gros copeaux. La parole est fraîche, parfois crue, une question de « personnalité ». « Mon épouse me dit que je devrais me calmer parfois, mettre les formes, mais je suis comme ça », prévient-il.

Même vingt et un ans après avoir rangé ses crampons, le technicien n’a pas tout à fait tué le (bon) joueur, ce milieu de terrain passé par Valenciennes, Marseille, Montpellier, Sochaux, le PSG, Saint-Etienne, et international d’un soir face à l’Ecosse, le 8 mars 1989, sélectionné par Michel Platini.

Comme sur le terrain, l’entraîneur de 55 ans assume son côté « tu me cherches, tu me trouves ». Tendre l’autre joue, comme dans l’Evangile selon saint Matthieu, très peu pour lui. Le père de famille exhume cette anecdote tirée d’une de ses « rares » réunions parents-profs. « Mon fils était dans un collège catholique, et la sœur me raconte qu’il s’est accroché avec un camarade et qu’il a répondu pour sa défense : “Papa m’a dit que dans la vie c’était œil pour œil, dent pour dent.” Je ne savais plus où me mettre. »

La caricature est facile et tentante. Laurey serait un agité du banc de touche, doublé d’un excité de la conférence de presse, prêt à rabrouer les journalistes à la première question à côté de la plaque. Un raccourci assez injuste. A l’entendre, il y aurait surtout une incompatibilité entre sa franchise et l’époque. « Je n’ai pas la volonté de déborder, mais comme on veut que tout soit lisse et aseptisé, on me tape forcément sur la couenne. »

Traversée du désert

Comme le 23 janvier, après sa sortie sur Neymar à l’issue d’une défaite (2-0) contre le PSG en seizièmes de finale de la Coupe de France. « Quand tu dépasses les bornes, il faut assumer. Assumer, quelquefois, c’est prendre quelques coups », déclare l’entraîneur alsacien, qui ignore que le Brésilien s’est de nouveau blessé au cinquième métatarse après un contact avec un des ses joueurs, Moataz Zemzemi.

« Sur Neymar, je me suis pris un ouragan, soupire-t-il. Je n’en veux pas à Neymar parce qu’il dribble, mais parce qu’il chambre et insulte. Si je suis monté au créneau c’est parce que les joueurs sont venus m’en parler après la rencontre. Et moi, je défends mes joueurs avant tout. »

Ces derniers le lui rendent bien, cette saison. Actuel dixième du championnat après avoir un temps flirté avec le top 5, qualifié en Ligue Europa en cas de victoire contre Guingamp, le RCS se porte comme un charme, pour un club donné pour mort en 2011, quand l’incurie de ses dirigeants l’avait fait échouer en CFA2, la 5e division.

François Keller, l’entraîneur désigné d’office de cette année zéro, ne dispose pas d’assez de forces vives et obtient le report d’un match le temps de recruter. Son frère, Marc, ancien international et idole de la Meinau dans les années 1990, accepte le poste de président.

Thierry Laurey (ici en mars 2019 lors d’un match contre Lyon) est l’entraîneur de la montée de Strasbourg dans l’élite, en mai 2017. / VINCENT KESSLER / REUTERS

Six ans plus tard, le « Marseille de l’Est » – surnom qui devait plus à l’agitation chronique du club qu’à son palmarès, malgré un titre de champion de France en 1979 – retrouve la Ligue 1 et découvre une tranquillité inédite.

Thierry Laurey est l’entraîneur de la dernière montée, celle dans l’élite, en mai 2017. Quand il arrive en Alsace un an plus tôt, lui aussi a mangé quelques quignons de pain noir. S’il a réalisé des miracles avec Ajaccio, hissé de National en Ligue 1 entre 2013 et 2015 avec quelques bouts de ficelle (« Mon adjoint travaillait à mi-temps au conseil général »), il a connu, auparavant, sa traversée du désert.

Vingt et un mois de chômage entre 2009 et 2011. Vingt et un mois à se rendre sur des stades « pour rencontrer du monde, pour qu’on ne t’oublie pas », mais aussi pour « faire un peu d’air » à sa femme, fatiguée de le voir tourner comme un lion en cage. L’idée d’une réorientation n’effleure pas l’ex-entraîneur de Sète et d’Amiens : « J’estimais que c’était dans le football où j’avais le plus de compétences, et je n’avais surtout pas envie de me faire chier dans un autre métier. »

« Je n’aime pas parler de philosophie de jeu. Quand tu diriges un club du top 10 européen, tu peux imposer ta philosophie, car on va te donner les joueurs pour le faire. C’est plus compliqué dans un club moyen.

Le football peut être une drogue dure, mais Thierry Laurey refuse toute méthadone. « Moi, je me considère comme normal. Pour d’autres, je suis peut-être à la limite de la folie footballistique », avoue celui qui pousse sa passion du sport jusqu’à regarder du snooker sur Eurosport et que la proximité du relais mixte des championnats du monde de biathlon conduira à interrompre l’entretien.

« Je peux regarder un documentaire et quelque chose va m’interpeller et me ramener au foot. Je percute et j’appelle mon adjoint pour lui dire que je regardais telle émission et que j’ai pensé à ça pour demain. »

Des idées, oui, mais pas d’idéologie. Laurey n’a pas l’âme ni la rigidité d’un Marcelo Bielsa ou d’un Pep Guardiola, dont le jeu de possession ne l’emballe pas. Pour lui, le dogmatisme est un luxe qu’il n’a jamais pu se permettre avec les moyens à sa disposition. « Je n’aime pas parler de philosophie de jeu. Quand tu diriges un club du top 10 européen, tu peux imposer ta philosophie, car on va te donner les joueurs pour le faire. C’est plus compliqué dans un club moyen. Tu passeras plus de temps à t’adapter à ton effectif et à trouver un dispositif qui fonctionne par rapport à tes joueurs. »

Le discours, modeste en apparence, n’empêche pas l’ambition. A l’échelle de la Ligue 1, Strasbourg propose un jeu proche de la subversion. Quand le discours dominant reste celui des blocs compacts et des équipes « bien en place », Laurey assumait, la saison dernière, « le déséquilibre », un football d’attaque rapide. Ce grain de folie avait entraîné la chute d’un PSG alors invaincu en championnat (2-1), le 2 décembre 2017. Mais le club est aussi passé tout près de la descente, à un coup franc salvateur près, du local Dimitri Liénard.

« Les gens vivent le foot comme en Allemagne. Ils veulent du spectacle. Tu dois les faire vibrer », dit Thierry Laurey à propos des supporteurs de Strasbourg. / PATRICK HERTZOG / AFP

Si le technicien avoue que son équipe « attaquait parfois n’importe comment la saison dernière » et qu’elle a gagné en sérieux, il n’a pas dévié de son idée de départ. Encore une question d’adaptation. « Quand je suis arrivé ici, j’ai dit que je voulais qu’on produise du spectacle, plaide le natif de Troyes. Quand tu signes à Strasbourg, tu sais que tu ne vas pas jouer derrière. Il existe une telle passion autour de ce club ! Les gens vivent le foot comme en Allemagne. Ils veulent du spectacle, arrivent deux heures avant le match, chantent et encouragent pendant tout le match. Tu dois les faire vibrer. »En décembre 2018, Thierry Laurey a prolongé son contrat jusqu’au 30 juin 2020. Sauf catastrophe, il entamera pour la première fois de sa carrière une quatrième saison sur le banc du même club. Une stabilité et une reconnaissance tardive appréciables. Mais le personnage n’a pas prévu de changer. « J’ai 55 ans, je suis marié, j’ai deux enfants, j’ai fait ma vie et je n’ai de leçons à recevoir de personne. Si on me caricature, il faut accepter que moi je renvoie quelques Scud pour me défendre. » Œil pour œil, dent pour dent.