Dans l’église Notre-Dame-de-Lourdes à Casablanca (Maroc), le 5 mars. / MOSA'AB ELSHAMY / AP

Ce dimanche 24 mars, à l’église Notre-Dame-de-Lourdes de Casablanca, il règne une atmosphère d’ébullition parmi les fidèles. Certains se sont regroupés devant un tableau pour scruter leur nom sur des listes imprimées en petit caractère. D’autres ont rejoint la centaine d’adeptes qui font patiemment la queue au pied de cette grande église. Ils sont quasiment tous originaires d’Afrique subsaharienne et sont arrivés ici pour travailler, étudier ou tenter de gagner le continent européen. Et tous attendent pour avoir un billet d’accès pour la visite du pape François, samedi 30 et dimanche 31 mars au Maroc.

« C’est un des grands moments de ma vie », s’enthousiasme Acha, une Camerounaise de 32 ans, qui vit à Casablanca depuis près de six ans. Comme chaque dimanche, elle a mis ses plus beaux vêtements, enfilé sa plus belle perruque, pour assister à la messe. « Très peu de gens dans le monde ont la chance de voir François et c’est au Maroc que ça arrive, c’est extraordinaire ! »

Trente-quatre ans après la visite de Jean-Paul II, le pape François se rend dans le royaume chérifien, à l’invitation du roi et « commandant des croyants » Mohammed VI, notamment pour prononcer un discours sur le dialogue interreligieux et rencontrer des migrants, un des thèmes centraux de son pontificat. Cette visite historique est très attendue dans la communauté subsaharienne, qui représente une grande majorité des chrétiens du Maroc.

Depuis près de deux décennies, la nouvelle dynamique migratoire a redonné vie aux lieux de culte chrétiens, catholiques et évangéliques, laissés à l’abandon depuis l’indépendance en 1956, qui comptent environ 35 000 fidèles aujourd’hui. « C’est formidable ! Les Subsahariens sont arrivés par milliers et ont rempli nos églises, se réjouit l’archevêque de Rabat, Mgr Cristobal Lopez Romero. Alors que des églises avaient fermé leurs portes, nous sommes obligés aujourd’hui de louer des maisons pour accueillir les jeunes fidèles. Pour la visite de François, nous avons 500 choristes. C’était inimaginable en 1985 lors de la visite de Jean-Paul II. »

Un lieu de socialisation pour les étudiants subsahariens

Comme les autres églises du Maroc, Notre-Dame-de-Lourdes a vu sa fréquentation exploser. Ce matin, entre 400 et 500 fidèles ont rempli la salle comble de cet édifice mythique du centre de Casablanca, en majorité des Africains subsahariens. Seule une poignée d’Européens et de Philippins occupaient les bancs. C’est le père Franklin Agnide, un Béninois, qui dirige la messe, rythmée de chants en lingala (la langue la plus parlée au Congo).

Assis aux premiers rangs, Aristide Seka, un Ivoirien de 40 ans, ne manque jamais le rendez-vous. Pourtant, il n’était pas catholique avant d’arriver au Maroc il y a 22 ans. « Pendant mes études, je venais ici quand j’avais le mal du pays, pour rencontrer d’autres gens de ma communauté, surtout dans les moments difficiles. J’ai commencé à suivre les cours de catéchisme pendant trois ans puis j’ai été baptisé. » Pour les étudiants subsahariens, venus nombreux au Maroc, attirés par les systèmes de bourse universitaires, l’église représente souvent un refuge, un lieu de socialisation. « Il y a le manque des proches mais aussi le racisme. Et quand ce n’est pas facile, la foi aide, assure Obin, arrivé il y a cinq ans de Guinée Conakry. Ici, on se connaît tous. Nous sommes égaux. Après la messe, on discute, on va manger ensemble. Quand un de nous a besoin de quelque chose, on essaye de l’aider. »

Côté protestants, représentés officiellement par l’Eglise évangélique au Maroc, l’arrivée des Subsahariens a aussi « revitalisé les lieux de culte », reconnaît Jean Koulagna, un protestant luthérien, professeur d’Ancien testament et de philosophie biblique. « 90 % des protestants du Maroc sont subsahariens. Le champ religieux lui-même a changé, il s’est adapté aux cultures locales de ses adeptes. » Au risque, parfois, de froisser ceux qui ne se retrouveraient pas dans cette nouvelle pratique de la religion. « Avec les Subsahariens, est arrivée une mouvance pentecôtiste dans laquelle je ne me retrouve plus. Dans les pratiques aussi, la façon de prier, tout a changé », raconte un protestant français à Rabat qui ne se rend plus au temple pour prier.

Des lieux de culte informels

Même au sein des communautés subsahariennes protestantes, une partie des fidèles ne s’est plus retrouvée dans certaines formes cultuelles de l’église protestante au Maroc. « Des groupes de dissidents ou de religieux alternatifs sont apparus », révèle Jean Koulagna. Depuis plusieurs années, des pasteurs autoproclamés prêchent dans des églises de maisons. « Il est difficile d’avoir des chiffres officiels, mais on sait qu’elles existent et elles sont fréquentées par des migrants. »

Logées dans les quartiers populaires habités par les Africains subsahariens, en périphérie des villes, ces églises parallèles, à majorité camerounaises, ivoiriennes et congolaises rassemblent quelques dizaines de fidèle à domicile. Dépourvues de statut légal bien que tolérées par les autorités, elles sont dirigées par des pasteurs migrants qui, lorsqu’ils décident de traverser la Méditerrannée, transmettent leur charge spirituelle à un autre fidèle charismatique.

Pour le pasteur Bernard Coyault, chercheur en sciences sociales, la prédominance des migrants dans ces lieux de culte informels n’est pas anodine. « Ces Eglises proposent un programme adapté au désœuvrement relatif des membres, avec des réunions plus nombreuses dans la journée. Le discours et la pratique sont centrés sur les attentes des migrants, prenant en compte les impératifs de la survie au jour le jour (nourriture, toit, santé) et la préoccupation majeure du passage en Europe », écrit le pasteur dans un article intitulé « Africanisation de l’Eglise évangélique au Maroc : revitalisation d’une institution religieuse et dynamique d’individualisation ».

Echappant au contrôle des autorités religieuses mais aussi de l’Etat marocain, ces chapelles présentent un risque de fondamentalisme. « Il existe dans ces églises des discours qui pourraient être durs envers les catholiques et encore pire envers les musulmans », déplore Jean Koulagna, qui dirige l’institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa à Rabat. Depuis deux ans, cet établissement à la fois protestant et catholique s’est aussi donné pour objectif de former gratuitement les nombreux chefs de ces églises informelles. « On leur donne les clés pour pouvoir prendre du recul, mieux structurer leurs prêches », explique le directeur. D’autant que c’est aussi dans ces maisons que s’établit le lien avec les réseaux des passeurs, ouest-africains ou marocains, et que les prêcheurs encouragent toujours plus au départ, au péril de leur vie.