En cas d’accident et en l’absence d’autopsie, les juges donnent raison aux assureurs. / Wolpert/F1 Online / Photononstop

Le 28 août 2013 vers 16 h 00, Jean-Noël B., 54 ans, producteur de lait dans le Doubs, rentre chez lui boire un café, puis repart soigner ses vaches. Quelques instants plus tard, sa camionnette s’encastre dans le mur d’un voisin. Celui-ci sort précipitamment, et constate que Jean-Noël, encore attaché par sa ceinture de sécurité, est inconscient. Il appelle les pompiers et le SAMU, qui arrivent dans les dix minutes, et entreprennent un massage cardiaque jusqu’à 17 h 30. L’un des médecins présents constate alors le décès en ces termes : « Probable accident cardio-respiratoire au volant, d’étiologie indéterminée, responsable d’un accident sur la voie publique. »

Jean-Noël ayant souscrit une assurance pour le véhicule auprès de la société Pacifica, sa veuve, Florence, demande que celle-ci fasse jouer sa garantie. Elle explique que Jean-Noël est mort au volant, juste après une collision frontale.

Cause extérieure

Pacifica refuse de payer, au motif que le sinistre n’entre pas dans les prévisions de son contrat qui stipule : « Nous garantissons le conducteur (…) blessé ou décédé dans le cadre d’un accident (…) ». Le contrat précise que « l’accident est une atteinte corporelle, non intentionnelle de la part de la victime, provenant de l’action soudaine d’une cause extérieure, et exclusivement liée à l’usage comme moyen de transport du véhicule assuré ». De cette définition, il résulte que la garantie de l’assureur n’est pas due lorsque le décès est la conséquence d’un acte intentionnel (suicide) ou d’un processus pathologique interne, tel que la crise cardiaque.

Or, si la société Pacifica exclut tout suicide de la part de ce père de quatre enfants, qui ne présentait pas de syndrome dépressif, elle considère qu’il était déjà mort, d’un arrêt cardiaque, comme l’a indiqué le médecin du SAMU, quand il a percuté le mur. D’après le croquis fait par les gendarmes, il avait perdu le contrôle de son véhicule vingt mètres avant ; il avait en effet renversé un panneau de signalisation et traversé une cour, sans effectuer de manœuvre d’évitement ou de freinage.

Charge de la preuve

L’assureur précise que c’est aux ayants droit de l’assuré qu’il revient de prouver que le sinistre entre dans les prévisions du contrat, en vertu de l’article 1315 (devenu 1353) du code civil, selon lequel « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit prouver son existence ». C’est donc la veuve de Jean-Noël qui doit démontrer que le décès de son époux est dû à l’« action soudaine d’une cause extérieure ».

Ce n’est pas exactement ce qui se produit. Son avocat saisit la justice, en soutenant que le certificat du médecin ne saurait valoir de « preuve » : seule une autopsie aurait permis de déterminer de façon certaine la cause exacte et le moment de la mort ; or, elle n’a pas été pratiquée, et le corps a depuis été crématisé. Par conséquent, selon le conseil de Florence B., « rien ne permet d’exclure » que le médecin ait omis de constater une « lésion exogène potentiellement létale ». En outre, « s’il apparaît évident que le véhicule n’était plus contrôlé lors de l’impact, rien ne permet de présumer que Jean-Noël était déjà mort à ce moment-là ».

Présomptions

Le tribunal de grande instance de Besançon, qui statue le 22 novembre 2016, admet qu’« il existe certaines présomptions en faveur d’un décès pouvant résulter d’une cause endogène ». Mais il considère qu’elles paraissent peu probables, « au regard de l’ensemble des pièces et éléments médicaux versés au débat », notamment au fait que Jean-Noël ne prenait aucun médicament et qu’il n’avait aucun problème de santé.

Le tribunal juge qu’« il existe également d’autres présomptions en faveur d’un décès accidentel » : « Le choc a pu entraîner des lésions internes (…) entraînant à leur tour un arrêt cardio-respiratoire » ; en effet, « Jean-Noël B. a pu, au préalable, être victime d’une perte de connaissance trouvant son origine dans la survenance d’un simple malaise vagal, d’un évanouissement, voire d’un endormissement passager ».

Le tribunal conclut que « les circonstances du décès sont compatibles avec une origine accidentelle », et condamne Pacifica à payer quelque 60 000 euros à la veuve et aux quatre enfants.

« Motifs hypothétiques »

L’assureur fait aussitôt appel, en protestant que la preuve du caractère accidentel du décès n’a pas été administrée. La cour d’appel de Besançon lui donne raison, le 21 novembre 2017, en considérant que « le premier juge » s’est fondé sur « des motifs hypothétiques », pour statuer comme il l’a fait. Elle ajoute qu’il existe une « forte probabilité » pour que la cause du décès n’ait pas été le choc frontal, puisque Jean-Noël avait, préalablement à celui-ci, perdu le contrôle de son véhicule, et que les contusions qui en ont résulté (blessures à l’arcade sourcilière et au genou) n’ont « pu être létales ». Elle infirme le jugement, et déboute Florence B. de toutes ses demandes.

Celle-ci se pourvoit en cassation. Elle soutient que, la cause du décès étant « indéterminée », comme l’a aussi écrit le médecin du SAMU, le décès doit être « présumé » accidentel, et que c’est à l’assureur qu’il appartient d’apporter la preuve du contraire. Elle essuie un rejet, le 7 mars (2019) : un tel raisonnement reviendrait à inverser la charge de la preuve, qui pèse sur l’ayant droit.

Noyade et malaise

En l’absence d’autopsie, les juges donnent raison aux assureurs, comme le montre l’affaire suivante : le 8 janvier 1995, le corps de François X, psychiatre, est repêché à quarante mètres de la plage, en arrêt cardiorespiratoire. Le médecin légiste, requis par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Nice pour procéder à son examen, constate une « discrète cyanose des lèvres et des oreilles, sans lésion traumatique ni présence de champignon de mousse » (substance blanchâtre provenant du mixage de l’eau inhalée, de l’air et du mucus bronchique). Au vu de ces éléments, il conclut qu’un « malaise brutal » a entraîné le décès, « sans signe patent de noyade », et délivre le permis d’inhumer.

La société Generali, auprès de laquelle François X s’était assuré, refuse de payer à la veuve de celui-ci le capital dû en cas d’accident, au motif que la mort ne serait pas due à l’« action soudaine d’une cause extérieure ». La veuve conteste, mais la cour d’appel de Paris juge qu’« en l’absence d’autopsie, la cause précise du décès ne peut être établie, de sorte que Mme X ne peut se prévaloir d’une erreur sur l’objet de la contestation ». La Cour de cassation l’approuve, le 24 novembre 2011 : seule, une autopsie aurait permis de déterminer si le défunt, bien que ne présentant aucune pathologie cardio-vasculaire, avait été victime d’une submersion ou d’une hydrocution.

Crise d’épilepsie

C’est en se fondant notamment sur cet arrêt du 24 novembre 2011, que la cour d’appel de Lyon donne raison, le 20 février 2018, à la société Filiassur, qui refusait sa garantie aux ayants droit de M. Y. Le 31 octobre 2013, les pompiers repêchent dans l’eau d’un lac le corps sans vie de cet employé communal, qui devait en débroussailler les abords. Le 4 novembre 2013, le chef de service des urgences du centre hospitalier de Mâcon indique que sa mort est « accidentelle », sans en préciser la cause. Le 8 janvier 2014, le procès-verbal de la gendarmerie évoque « un malaise dû à une crise d’épilepsie », vu que M. Y était sujet à ce genre de crises.

La société Filiassur, auprès de laquelle M. Y avait contracté une assurance, refuse de faire jouer sa garantie, au motif que le décès par noyade résulte d’un « malaise dû à un état pathologique ». Un premier juge la condamne à verser la somme de 70 000 euros. Mais Filiassur fait appel, en notant qu’« aucune autopsie n’a été ordonnée », ce qui ne permet pas de rapporter la preuve que le décès par noyade provient d’une cause soudaine et extérieure, alors même que le contrat exclut les décès consécutifs à des crises d’épilepsie. La cour d’appel de Lyon lui donne raison.

Noyade et diabète

Lorsque le corps du défunt présente des signes de mort par noyade, la garantie de l’assureur est due, même sans autopsie, comme le montre l’affaire suivante : le 24 mai 2011, le corps inanimé de M. Z est découvert dans la baignoire de la chambre d’hôtel qu’il avait réservée pour des motifs professionnels. L’enquête diligentée par la gendarmerie conclut qu’il est décédé de « noyade accidentelle ».

La société Groupama Gan Vie, auprès de laquelle il avait contacté un contrat « Multi Prévoyance Santé » en faveur de sa compagne, refuse de faire jouer sa garantie, au motif que M. Y, diabétique, aurait pu être victime d’un malaise. La cour d’appel de Riom, qui statue le 12 janvier 2015, observe toutefois que « les constatations faites sur le corps de M. Z ont révélé la présence d’un bouchon spumeux au niveau de la bouche ». Or, « un tel bouchon spumeux provient d’un brassage de l’air, de l’eau et du mucus tapissant les voies aériennes lors des derniers mouvements respiratoires effectués en milieu hybride », et « ce signe est, selon les données de la médecine légale, clairement évocateur d’une noyade vitale ». Elle condamne Groupama à payer quelque 60 000 euros.

Noyade et alcool

Lorsque le corps d’un noyé présente une forte imprégnation éthylique ou médicamenteuse, la garantie de l’assureur n’est pas due, comme le montre l’exemple suivant : le 18 juillet 2010, le corps de Mme X est retrouvé au fond d’un lac, et le rapport d’expertise médico-légale conclut à un décès par noyade, en raison de la présence de diatomées (microalgues) dans les tissus.

La Banque postale prévoyance, auprès de laquelle Mme X avait souscrit un contrat d’assurance « Prémunys », en faveur de son ami, M. Y, refuse de faire jouer sa garantie, au motif que celui-ci ne prouve pas que la noyade serait le fait d’une « action soudaine et imprévisible », provenant exclusivement d’une « cause extérieure », et non d’une « cause interne à l’assurée ». Le rapport d’expertise toxicologique ayant mis en évidence une imprégnation massive de l’organisme de la défunte par l’alcool et certains médicaments psychoactifs, elle assure que son comportement a pu être altéré et sa vigilance diminuée. La cour d’appel d’Aix-en-Provence lui donne raison, le 29 juin 2017 : « La noyade, « qui suppose certes par définition la rencontre du corps et de l’eau, n’a pas, au cas présent, une cause extérieure mais interne. » Elle déboute M. Y de toutes ses demandes.