Le 1er avril, près de Tokyo, lors de la révélation du nom de la nouvelle ère impériale. / AP

« Reiwa » : tel est le nom, annoncé lundi 1er avril, de la nouvelle ère impériale qui commencera le 1er mai lors de l’avènement de l’empereur Naruhito à la suite de l’abdication de son père, Akihito.

Présentant à la presse les deux idéogrammes qui impliquent les notions d’« harmonie » et de « paix », calligraphiés sur une feuille de papier blanc dans un cadre en bois, le porte-parole du gouvernement Yoshihide Suga a précisé qu’ils sont tirés d’un poème du Manyoshu (anthologie poétique japonaise du VIIIe siècle) et non de classiques chinois comme c’était le cas pour les ères précédentes. Il n’a pas été donné pour l’instant de traduction officielle.

« Le choix du nouveau nom se veut un message aux citoyens », a précisé M. Suga. Le premier ministre Shinzo Abe en personne a expliqué la signification de l’appellation de la nouvelle ère : « Quand les cœurs sont en harmonie, la culture peut fleurir », a-t-il déclaré en réitérant son engagement personnel que cette nouvelle ère soit placée « sous le signe de l’espoir ».

Les noms des ères privilégiés depuis le XIXsiècle comportaient les idées de paix, justice, sagesse : Meiji (« gouvernement éclairé ») ; Taisho (« grande Justice »), Showa (« paix éclairée »), Heisei (« paix en devenir »). Une nouvelle fois, c’est l’idée de paix qui a été retenue. Le choix de nom des ères est assez restreint : 72 idéogrammes ont été utilisés pour les 272 ères de l’histoire du Japon depuis le VIIe siècle, a précisé Shigeji Ogura, du Musée national d’histoire japonaise.

Alors qu’autrefois, les empereurs choisissaient le nom de l’ère de leur règne, c’est le gouvernement qui a décidé

Une nouvelle ère est chargée de la nostalgie et de l’espoir de toute page qui se tourne. Dans plusieurs quartiers de Tokyo, des foules se pressaient devant les écrans de télévision des rues, tandis que les journaux publiaient des éditions spéciales. Par le cérémonial auquel a donné lieu l’annonce d’une nouvelle ère, le gouvernement Abe a cherché à jouer de l’impact psychologique du renouveau dont serait porteur l’avènement d’une nouvelle ère.

Alors qu’autrefois, les empereurs choisissaient le nom de l’ère de leur règne, le monarque n’a pas eu à donner son avis : c’est le gouvernement qui a décidé. « Symbole de l’Etat et de l’unité du peuple », sans autre fonction que protocolaire, l’empereur Akihito a été informé du nom de la nouvelle ère peu avant qu’elle soit annoncée.

Eviter un « bug impérial » informatique

Le système de datation fondé sur des ères, d’origine chinoise, existe au Japon depuis le VIIe siècle. Il a été maintenu après que l’Archipel a lancé sa modernisation au milieu du XIXsiècle. Mais alors qu’auparavant les ères pouvaient changer en signe de renouveau à la suite d’un événement faste ou néfaste, et chevaucher un ou deux règnes, il fut décidé qu’une ère correspondrait à un règne. Le monarque était censé être maître de l’espace et du temps. En même temps, le Japon adoptait le calendrier grégorien.

Le système de datation en fonction des ères impériales, qui ne figure pas dans la Constitution de 1947, a été légalisé en 1979. Et le Japon a continué à vivre dans deux temporalités : un temps mondialisé et un temps japonais.

Les actes administratifs sont toujours datés en fonction de l’ère impériale. Par commodité, les journaux portent les deux dates (même Akahata, quotidien du Parti communiste), comme souvent les calendriers et agendas. Les prestataires informatiques qui utilisent les deux calendriers ont cherché à éviter un « bug impérial », comme lors du passage à l’an 2000.

Cette double datation contraint les Japonais à une gymnastique mentale pour convertir telle date en calendrier grégorien ou en fonction de l’ère impériale. Mais ils s’en accommodent : les ères sont vécues comme une tradition et marquent un écoulement du temps proprement national. Elles donnent plus de consistance à une époque : « Les Japonais y sont habitués et quand quelqu’un dit qu’il est de Showa [1926-1989] ou de Heisei, il est plus facile d’imaginer à quelle génération il appartient : l’impression est plus charnelle qu’une froide date de naissance », estime Eiichi Miyashiro, journaliste au Asahi Shimbun. Le nom d’une ère est perçu comme le symbole d’une époque. Mais comme d’autres, cette tradition recule : on estime qu’un tiers de la population utilise encore la datation en fonction de l’ère impériale dans sa vie courante, alors que c’était le cas de 80 % en 1975.