Un iceberg passe à proximité de Port Kirwan, en Terre-Neuve-et-Labrador, au Canada, au printemps 2017. / Drew Angerer / AFP

« On ne pourra plus polluer gratuitement au Canada. » Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, justifiait ainsi récemment l’instauration d’une taxe carbone nationale au 1er avril. Elle s’applique, contre leur gré, à l’Ontario, au Nouveau-Brunswick, à la Saskatchewan et au Manitoba, quatre provinces qui n’ont pas de système de taxation du carbone comme la Colombie-Britannique et le Québec. Le Yukon et le Nunavut, qui avaient adhéré au projet de M. Trudeau, obtiennent un délai d’application au 1er juillet. « Les Canadiens savent que les changements climatiques sont réels et que le coût de l’inaction est énorme », rappelle la ministre canadienne de l’environnement, Catherine McKenna.

La taxe est fixée à 20 dollars canadiens la tonne (13,30 euros) et augmentera jusqu’à 50 dollars en avril 2022, à raison de 10 dollars de plus par an. Elle s’appliquera à 21 types de combustibles – essence, diesel, carburant d’avions, pneus… Ce dispositif complète l’instauration d’un système d’échange de droits d’émissions pour les entreprises les plus polluantes, entré en vigueur le 1er janvier. L’objectif est d’avancer dans la voie d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 30 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005.

Ce plan national, en pleine année électorale, ne se fait pas sans heurts. Certes, les groupes environnementaux l’appuient. La Fondation David Suzuki qualifie le geste de « déterminant et historique ». C’est « un pas dans la bonne direction », ajoute Greenpeace Canada, tout en rappelant qu’une baisse significative des émissions de GES passe par des « investissements massifs » dans les énergies renouvelables et le transport en commun, ainsi que par l’arrêt des aides au secteur des énergies fossiles.

Mais les quatre provinces récalcitrantes sont montées aux barricades. Le gouvernement de la Saskatchewan poursuit même Ottawa en justice pour faire reconnaître la nouvelle taxe fédérale comme inconstitutionnelle, estimant qu’elle empiète sur le pouvoir des provinces. L’affaire est devant la cour d’appel de cette province et pourrait rebondir jusqu’à la Cour suprême.

Le gouvernement ontarien s’est aussi lancé dans une bataille judiciaire contre Ottawa. Le premier ministre Doug Ford, qui a aboli en 2018 le marché du carbone fonctionnant jusqu’alors, est l’un des plus fervents opposants à cette taxe fédérale qu’il assimile à une « arnaque fiscale qui ne change rien du tout pour l’environnement » mais fera « mal aux emplois et aux familles ».

« Le plus grand mensonge »

En Alberta, où la première ministre néo-démocrate Rachel Notley a imposé une taxe sur le carbone qui atteint 30 dollars la tonne, le sujet est central dans la campagne en vue des élections du 16 avril. Au pays des sables bitumineux, Mme Notley joue son va-tout sur ce dossier épineux. Qualifiant la taxe provinciale de « plus grand mensonge de l’histoire de l’Alberta », le chef des conservateurs, Jason Kenney, a promis de la supprimer d’ici à fin mai s’il est élu, et de la remplacer, à partir de 2020, par une autre ciblant seulement les grands émetteurs (ceux qui dépassent les 100 000 tonnes d’émissions de GES par an), en utilisant les profits pour financer la recherche et les technologies vertes.

M. Trudeau suit le modèle de la Colombie-Britannique, qui fait figure d’exemple pour avoir affecté les recettes de la taxe aux investissements dans la transition énergétique et aux baisses d’impôts des ménages. Ottawa promet ainsi de transférer la quasi-totalité des revenus de la taxation carbone aux particuliers, entreprises, municipalités, organismes publics ou à but non lucratif afin de couvrir la hausse du prix de l’essence et du chauffage.

Dans un rapport rendu public fin mars, la Commission de l’écofiscalité du Canada estime que 80 % des ménages obtiendront une réduction fiscale supérieure à ce que coûte la tarification du carbone. Le plan pour plus de 500 000 entreprises concernées, dont une majorité de PME, n’est pas finalisé. Du coup, « les petites compagnies paniquent », a alerté le président de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, Dan Kelly.