Des boîtes de camembert non pasteurisé dans les casiers de l’Assemblée nationale, à Paris, le 13 mars. / Gonzalo Fuentes / REUTERS

C’est la réponse du berger à la bergère. Ou plutôt du groupe laitier Lactalis au député Richard Ramos. Le 13 février, l’élu MoDem du Loiret ouvrait la boîte à camembert. Au lait cru. Chacun de ses collègues de l’Assemblée nationale recevait dans son casier une boîte du fromage normand et ses effluves se sont glissés jusque dans l’Hémicycle.

Le député, accompagné de Véronique Richez-Lerouge, présidente de l’association Fromages de terroirs, souhaitait mettre ses collègues au parfum. Son objectif : dénoncer le projet d’autoriser le label Appellation d’origine protégée (AOP) sur un camembert pasteurisé. Un changement complet de cahier des charges de cette appellation normande, jusqu’alors réservée au fromage au lait cru, qui pourrait entrer en vigueur en 2021.

Or, en inventant, avec Président, le camembert pasteurisé, Lactalis a ouvert la voie à l’industrialisation de ce fromage de terroir. Il en détient toujours la plus grosse part. Le géant laitier n’a donc pas manqué de réagir à l’offensive du député.

Cahier des charges à deux vitesses

Une réplique se prépare au Sénat, mardi 2 avril, à « l’invi­tation » de la sénatrice centriste de l’Orne, Nathalie Goulet. Pour « défendre le vrai camembert de ­Normandie », Jean-Marie Cambefort, grand maître de la Confrérie des ­chevaliers du camembert – du véritable camembert de Normandie –, est placé aux premières loges.

« Nous souhaitons profiter de la vitrine du Sénat pour parler de l’évolution de l’AOP si décriée »,affirme M. Cambefort. Il défend le cahier des charges à deux vitesses de la future AOP. D’un côté, le « cœur de gamme », élaboré avec du lait pasteurisé provenant de troupeaux comptant au moins 30 % de vaches normandes pâturant six mois par an. De l’autre, le « haut de gamme », qui ­continuera d’être fabriqué avec du lait cru produit par au moins 60 % de vaches normandes – un accord trouvé en février 2018 après un conflit ouvert six ans plus tôt entre défenseurs du camembert au lait cru et industriels. « Le lait des producteurs sera mieux valorisé et l’AOP aura un tonnage plus important. Nous pourrions atteindre 45 000 tonnes », assure-t-il, sachant que l’AOP actuelle au lait cru représente 5 600 tonnes par an.

M. Cambefort connaît bien son sujet. Avant de porter le grand habit de la confrérie, il dirigeait en effet l’usine Lepetit, propriété de Lactalis. En outre, il a accompagné le basculement de cette marque vers le lait pasteurisé et sa sortie de l’AOP. Depuis, le groupe laitier de la famille Besnier a avancé ses pions. Il a racheté tour à tour Moulin de Carel, Jort et, surtout, la fromagerie Graindorge, porteurs de l’AOP. De quoi s’inviter en force à la ­table des négociations dans la guerre du camembert. L’enjeu : repositionner sur ses boîtes de fromage industriel le précieux label rouge et or, source de marges plus grasses…