La nouvelle présidente slovaque Zuzana Caputova, devant le palais présidentiel, à Bratislava, le 31 mars 2019. / Petr David Josek / AP

Ce fut son premier geste après les élections. Dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 mars, Zuzana Caputova, élue à la présidence slovaque, est allée déposer un lumignon sur un bout de trottoir à Bratislava, la capitale. Des habitants y avaient improvisé un petit mausolée, en la mémoire de Jan Kuciak et Martina Kusnirova. Ces deux fiancés ont été assassinés l’année dernière, sans doute parce que le jeune homme, reporter, enquêtait sur le business ­opaque d’un oligarque proche du gouvernement.

Très largement élue contre ­Maros Sefcovic, le candidat de la gauche populiste au pouvoir (SMER-SD), avec 58,40 % des voix, Mme Caputova, une avocate de 45 ans avait, comme le journaliste, fait de la lutte contre la corruption un combat acharné. Elle a tenu à rendre hommage à ceux pour qui elle est entrée en politique. Son élection, tristement, c’est à eux qu’elle la doit.

Les sociaux-démocrates du SMER très décriés

Mais son geste peut également être interprété comme un défi lancé à la coalition très décriée qui gouverne la Slovaquie, indépendante depuis 1993. La première femme présidente va devoir cohabiter avec l’extrême droite (SNS) et une formation qui n’a plus de ­social-démocrate que l’étiquette. Le SMER-SD stigmatise les mu­sulmans. Il a inscrit dans la Cons­titution la définition du mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme. Miné par les affaires, en baisse dans les sondages, loin de chercher à élucider ce double meurtre qui a mis en lumière ses liens mafieux avec certains milieux économiques, il prépare actuellement un nouvel amendement autorisant les droits de réponse à chaque publication d’article.

Une régression à laquelle Zuzana Caputova, qui coopérait avec M. Kuciak dans ses enquêtes, promet de mettre son veto, après sa prestation de serment, le 15 juin.

Zuzana Caputova incarne une nouvelle démonstration du désamour qui frappe les offres électorales traditionnelles.

A quelques semaines des élections européennes, l’ascension de cette novice a été largement portée par les manifestations massives pour une « Slovaquie décente », après le décès du couple. Féministe, divorcée, écologiste, représentante d’un parti, Slovaquie progressiste (PS), qui n’existait pas il y a deux ans, le personnage, considéré comme neuf, incarne toutefois une nouvelle démonstration du désamour qui frappe les offres électorales traditionnelles.

Et si le plébiscite permet effectivement de penser qu’« il est possible de ne pas céder au populisme et de gagner la confiance des gens sans avoir recours à un vocabulaire agressif », comme l’affirmait Mme Caputova au soir de sa victoire il faut aussi noter le faible taux de participation (41,79 %) et le renforcement des forces illibérales, singeant le « modèle orbanien » de la Hongrie voisine.

Votes des nationalistes et néonazis

« Car le changement a lieu dans les deux sens », énonce Marian Lesko, commentateur pour l’hebdomadaire Trend. A l’image des autres sociétés occidentales, ce pays d’Europe centrale, membre de la zone euro, souffre d’une polarisation galopante. « Les forces antisystèmes progressent en parallèle. En vue des législatives de l’année prochaine, le SMER-SD pourrait avoir la tentation de critiquer de plus en plus Bruxelles. Il veut rester le premier parti du pays et il a vu que les candidats autoritaires avaient obtenu de bons scores au premier tour. »

Stefan Harabin (nationaliste) et Marian Kotleba (néonazi) ont recueilli, à eux deux, près du quart des suffrages exprimés. Selon Marian Lesko, la nouvelle chef de l’Etat devra en conséquence s’impliquer dans le débat public, malgré ses pouvoirs limités. « Si elle voit que l’exécutif devient antieuropéen, alors, forte de sa légitimité populaire, elle pourra exiger le maintien d’une ligne constructive. »