France 2, mardi 2 avril à 23 h 10, documentaire

« Prévoir sa vie un jour à l’avance n’avait aucun sens. » Cette phrase de l’écrivain Varlam Chalamov (1907-1982), auteur des Récits de la Kolyma et qui aura passé vingt ans de sa vie au goulag, résume l’enfer qu’ont vécu des millions de zek (nom donné aux travailleurs forcés dans les camps soviétiques). Chalamov est l’un des nombreux destins évoqués dans ce saisissant documentaire qui oscille entre road-movieet leçon d’histoire grandeur nature.

Evitant l’habituel déroulé historique linéaire, l’expérimenté Michaël Prazan (auteur de remarquables documentaires télévisés consacrés notamment au terrorisme, à la division Das Reich ou aux immigrés européens en Amérique pour ne citer qu’eux) et par la jeune journaliste et chercheuse Assia Kovriguina, petite-fille de zek, parvient à donner chair et émotion à ce colossal travail de mémoire.

Longtemps passée sous silence, la mémoire du goulag n’est plus taboue et resurgit depuis quelques années en Russie

Les nombreuses images d’archives inédites sont stupéfiantes, les témoins interrogés (ancienne détenue, responsables de musée, historiens), passionnants, et le récit familial d’Assia Kovriguina parlant de son grand-père journaliste condamné aux camps, émouvant. L’originalité de ce documentaire tient à son format, celui de l’enquête, qui parvient à rendre vivantes des étendues désertiques enneigées, des baraques en ruine d’anciens camps abandonnés, des routes balayées par le vent glacial sur lesquelles des femmes et des hommes, pauvres zek exténués, ont laissé leur vie.

Longtemps passée sous silence, la mémoire du goulag n’est plus taboue et resurgit depuis quelques années en Russie. Même à Moscou, ce retour du refoulé apparaît au détour d’une forêt ou d’un monastère. Car c’est bien dans la forêt de Boutovo, à la sortie de la ville, que fut installé un site de mise à mort lors de la grande terreur (1937-1938), où des milliers de détenus furent fusillés ou gazés. Et c’est bien dans les monastères de la capitale que furent installés les premiers camps de détention du jeune pouvoir bolchevique.

Mais Moscou, qui a vu l’ouverture d’un musée consacré au goulag, n’est évidemment pas au centre de ce voyage. Dans des régions sibériennes parmi les plus froides du monde, on longe la « route des ossements », entre Magadan et Irkoutsk. On parcourt les rues de Magadan, ville emblématique des camps. On visite des musées consacrés à l’univers concentrationnaire soviétique. On rencontre Antonia, vieille dame au regard encore vif, ancienne zek.

Leçons d’histoire

Arrivée en 1948, à 19 ans, elle n’a plus jamais quitté la ville après avoir passé huit ans dans les camps. Ce qu’elle raconte de ses conditions de détention, des relations entre hommes et femmes, des espoirs et des drames vécus vaut toutes les leçons d’histoire. « Dans les camps, il y avait du mauvais et du bon », lance-t-elle, comme pour bousculer les consciences et les idées reçues.

En 1919, on comptait une vingtaine de camps. Un an plus tard, une centaine. Ce vaste système répressif perdurera longtemps, même si, après la mort de Staline en mars 1953, plus d’un million de zek furent amnistiés. Dans les années 1970, 10 000 prisonniers politiques étaient encore internés en URSS. Le dernier camp, baptisé Perm-36, dans l’Oural, ne sera fermé qu’en 1988.

Goulags - Bande annonce (version anglaise)
Durée : 01:37

Goulags, de Michaël Prazan et d’Assia Kovriguina (Fr., 2018, 77 min). www.france.tv/france-2 et www.fondationshoah.org/antisemitisme/goulags-de-michael-prazan