La population du village d’Agang, dans l’est du Tchad, se rassemble pour une session de vaccination le 25 mars 2019. / AMAURY HAUCHARD / AFP

Dinar Tchere est d’humeur bougonne : le début de la session de vaccination a pris du retard. Dans son centre de santé d’Hilouta, dans la province du Tchad du Ouaddaï, il rassemble rapidement les vaccins dans une glacière avant de les embarquer à l’arrière du pick-up. Il faut vingt minutes de piste sablonneuse pour atteindre Agang, 400 habitants, le village cible du jour situé à plus de 950 km à l’est de la capitale N’Djamena et à une journée de voyage du premier tronçon goudronné.

« C’est ce que je craignais, la plupart des mamans sont parties au marché », peste M. Tchere en étendant une natte sur le sol, sous un manguier. Mais pourtant, une à une, des femmes accompagnées d’un ou plusieurs enfants commencent à arriver de tous les côtés. Il n’y a bientôt plus un centimètre libre sur la natte. Les glacières sont ouvertes et la session peut commencer. Pour se rassurer, Dinar Tchere touche du doigt la glace pour vérifier son état. Et pour cause : il fait déjà 40 degrés et les vaccins ne supportent pas la chaleur.

« Maintenir la chaîne du froid des vaccins est notre principal problème, raconte le responsable d’un des vingt-et-un centres de santé du département. Depuis les événements de 2007, on n’a plus de panneau solaire ni de frigidaire. » Les « événements » renvoient à la guerre larvée et meurtrière qui opposa durant plusieurs années les deux voisins tchadien et soudanais par groupes armés interposés. Hilouta, à moins de deux kilomètres de la frontière soudanaise, a été le théâtre de combats.

Une soixantaine de villages

Aujourd’hui, les préoccupations sont météorologiques : comment garder au frais ces vaccins quand le mercure est bloqué en haut des thermomètres ? « Je les stocke au Soudan, dans le centre de santé de l’autre côté de la frontière. Ils ont un frigidaire, eux », raconte Dinar Tchere. Mais en raison des tensions sécuritaires, le Soudan refuse les passages de la frontière à moto. Alors Dinar, la glacière sous le bras, parcourt les deux kilomètres à pied, à la veille de chaque session de vaccination.

Pour la soixantaine de villages que son centre de santé couvre, il assure faire environ quatre sessions de vaccination par mois. Deux au centre, deux dans les villages. « Mais nous n’avons aucun moyen de transport pour nous y rendre », regrette-t-il. Il y a longtemps que l’Etat ne finance plus les frais de fonctionnement de ses centres de santé. Alors souvent, c’est sur sa moto qu’il se rend aux sessions, en prenant soin de ne jamais prendre la même route à l’aller et au retour, de peur des braquages. Ou alors avec les véhicules de l’ONG française Première Urgence internationale qui soutient, avec un financement de l’Union européenne, onze centres de santé dans le département.

Epidémie de rougeole

A Arkoum, à une cinquantaine de kilomètres d’Hilouta, les défis sont les mêmes pour Félix Djembonoudji, infirmier et responsable d’un autre centre de santé. « Et puis, il y a les ruptures de stock », ajoute-t-il, désabusé. Comme M. Tchere, il doit chaque semaine se rendre à Adré, chef-lieu du département, à plusieurs heures de piste, pour aller chercher les vaccins. « Mais parfois, ils ne les ont pas reçus. Là, ça fait cinq jours qu’on est en rupture de VAR », le vaccin contre la rougeole.

La province, comme la moitié du pays, est frappée par une épidémie de rougeole depuis près d’un an. Si les campagnes de vaccination sont régulières, la couverture vaccinale reste faible. Selon la dernière enquête nationale de 2017, seul un enfant sur cinq était complètement vacciné au Tchad. Et les maladies sont meurtrières : « La rougeole peut entraîner la sous-nutrition chez un enfant non vacciné, qui est l’une des causes de la mortalité infantile », explique Fabienne Mially, cheffe de mission de l’ONG française au Tchad.

Dans ce pays d’Afrique centrale, selon l’ONU, plus d’un enfant sur dix meurt avant ses 5 ans. A Agang, la session de vaccination est terminée. Dinar Tchere est sur le point de refermer la glacière quand un cheval soulève la poussière à l’horizon. Le cavalier, père de famille et dont la femme au marché, amène son enfant de 6 mois pour son deuxième vaccin. « C’est important ! », s’exclame le père. L’enfant sera vacciné. De retour au centre d’Hilouta, sans eau ni électricité, Dinar Tchere jette un coup d’œil dehors, où deux habitants du village l’attendent déjà pour une consultation. « Les journées sont longues ! », précise-t-il.