Le caricaturiste soudanais Khalid Albaih. / Khartoon! / Facebook

Porte-crayon des « printemps arabes », Khalid Albaih, 38 ans, s’est fait le héraut des protestations au Soudan, son pays d’origine, depuis le Danemark où il vit en exil. Avec ses petites lunettes et sa barbe bien coupée, ce géant de 1,96 mètre se considère comme « un ambassadeur » : « J’essaie de dire au monde ce qui se passe au Soudan », explique-t-il, installé dans la bibliothèque municipale de Copenhague où il a l’habitude de travailler.

Avec sa femme et ses enfants, il a posé ses valises dans la capitale danoise en octobre 2017, après avoir longtemps vécu à Doha et être brièvement passé par les Etats-Unis. Indésirable au Soudan à cause de ses critiques du régime du président Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis trente ans, Khalid Albaih est à Copenhague grâce à l’Icorn, le réseau des villes « refuges » pour les artistes menacés dans leur pays.

Il distille ses caricatures épurées, souvent bichromes, sur les réseaux sociaux et compte 23 000 abonnés sur Twitter et Instagram et près de 85 000 sur Facebook avec sa page « Khartoon », un jeu de mots entre le nom de la capitale soudanaise, Khartoum, et le mot anglais pour « caricature » (cartoon). Son objectif : « Toucher l’autre côté, les gouvernements [occidentaux], l’Union européenne, les Américains, et leur raconter ce qui se passe », dit-il.

Arrestations arbitraires de journalistes

Pour capter l’attention des internautes du monde entier, il n’hésite pas à alterner les sujets : il dessine une fois sur un sujet d’actualité mondiale, une autre fois sur une nouvelle régionale, et veille à accompagner chacune de ses créations d’une courte légende en anglais. « Je peux faire quelque chose sur les Etats-Unis et obtenir l’attention de tous », puis choisir un sujet « dont ils n’ont jamais entendu parler, comme les manifestations au Soudan ».

Depuis décembre, le pays est secoué par des manifestations contre la cherté de la vie et le régime d’Al-Bachir. Ces rassemblements sans précédent ont mené à la nomination d’un nouveau gouvernement, en fonction depuis mi-mars. Ces manifestations continuent malgré l’état d’urgence imposé depuis le 22 février. L’association Reporters sans frontières dénombre 90 arrestations arbitraires de journalistes depuis le début des protestations.

Khalid Albaih est issu d’une famille soudanaise politisée, avec un père diplomate et un oncle qui dirigea un état-major de transition en 1985-1986. Aux Etats-Unis, il s’est fait connaître avec une caricature représentant le joueur de football américain Colin Kaepernick, qui a lancé un mouvement de protestation contre les violences policières visant la communauté noire, genou à terre, ses cheveux représentés comme un poing levé. Le réalisateur Spike Lee a largement contribué à son succès en portant un tee-shirt avec le fameux dessin.

Les caricatures du prophète, inutiles provocations

Khalid Albaih a jusqu’à présent épargné le Danemark, son pays d’accueil, malgré la politique restrictive du gouvernement danois envers les étrangers. Chantre de la liberté d’expression, le pays scandinave avait été violemment pris à partie, en 2005, après la publication de douze caricatures du prophète Mohammed par le quotidien Jyllands-Posten. Des drapeaux danois avaient été brûlés lors de manifestations de protestation dans le monde musulman.

Khalid a beau être lui-même caricaturiste, il considère que ces caricatures de Mohammed étaient d’inutiles provocations, alors qu’il est interdit dans l’islam de représenter le prophète. « Est-ce que les caricaturistes danois ont essayé de rompre le dialogue avec un milliard de musulmans en leur disant : “Oui, on sait que c’est quelque chose que vous n’approuvez pas, mais on le fait quand même, juste parce qu’on peut” ? », s’interroge-t-il. Pour lui, lorsqu’un caricaturiste provoque, cela doit être « pour construire des ponts ».