Le Monde

« De la Terre à la Lune », suivi d’« Une fantaisie du Docteur Ox », de Jules Verne, Le Monde, 288 p., 10 €. En kiosque.

A Paul Morand qui proclamait, en 1926, Rien que la Terre (Grasset), Verne et l’éditeur Hetzel auraient pu rétorquer « Loin de la Terre », tant leur volonté d’exploration exhaustive de l’univers mena très vite le premier à céder à l’attraction céleste, à risquer le récit d’un voyage interplanétaire. En effet, après l’Afrique en montgolfière (Cinq semaines en ballon, 1863), l’Arctique en bateau (Voyages et aventures du capitaine Hatteras, 1864-1866) et les sous-sols terrestres à pied (Voyage au centre de la Terre, 1864), Verne choisit de propulser, dans le sillage de Cyrano de Bergerac (Voyages dans la Lune, 1865) et de son maître Edgar Poe (Aventures sans pareille d’un certain Hans Pfaall, 1835), et avant Wells (Les Premiers Hommes dans la lune, 1901), ses héros en direction du plus fameux satellite de la Terre.

Paru en 1865, porté à la scène par Offenbach en 1875 puis génialement adapté au cinéma par Méliès dont la Lune éborgnée fit époque (Voyage dans la Lune, 1902), ce quatrième Voyage extraordinaire met en scène à Baltimore, au lendemain de la guerre de Sécession, un club d’artilleurs fanatiques, le Gun Club, dont le président, Impey Barbicane, décide de décocher, via un colossal canon, un obus vers la Lune. Fort d’un soutien financier mondial, il ouvre un immense chantier sur Stone’s Hill, dans les parages de la ville floridienne de Tampa Town (non loin du futur site de cap Canaveral).

Obus tout confort

S’invite alors dans l’entreprise le charismatique dandy français Michel Ardan (hommage au photographe Nadar, ami de Verne), qui propose d’habiter le projectile. Contredit par le capitaine Nicholl, rival de Barbicane, il parvient à réconcilier les deux hommes et impose l’idée d’un voyage lunaire en trio au sein d’un obus tout confort, digne d’un wagon Pullman.

Le jour dit et à l’heure dite, une ­secousse apocalyptique signalera au monde le départ de l’obus vers la Lune. Mêlant vulgarisation scientifique de pointe, humanisme planétaire (l’obus ne vise plus la Terre ni les ­humains mais le ciel), utopie sociale (le chantier devient une véritable cité des nations) et humour dévastateur (portrait du Gun Club et mise en scène d’Ardan), Verne donne là à la science-fiction sélénite un de ses chefs-d’œuvre fondateurs. Avec ce classique, une merveille d’humour vernien : Une fantaisie du docteur Ox (1872), ou comment réveiller une ville en truquant le gaz d’éclairage.