L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

En dépit d’une diffusion confidentielle (tous les jours à 13 heures au cinéma Saint-André-des-Arts, à Paris, puis en tournée en province), Une jolie vallée, qui a d’abord circulé en festival, est sans doute l’un des documentaires les plus originaux vus sur grand écran ces derniers temps. En posant sa caméra tout un été dans une petite localité du Tarn où un chœur d’amateurs (le Chœurs des Sittelles) répète un spectacle musical – Les Trois Mousquetaires composé par Julien Joubert, d’après Alexandre Dumas –, le réalisateur Gaël Lépingle, également auteur du livret, s’immerge dans les tours de chant et renoue avec l’hypothèse d’un cinéma « en chanté » chère à Jacques Demy.

Ce sont des adultes, des adolescents, des enfants et des retraités. En chœur ou en duo, ils chantent le départ de d’Artagnan à Paris, son amour pour Constance, les tourments de la reine Anne, les intrigues de Richelieu, autant d’épisodes bien connus des Trois Mousquetaires rejoués dans les espaces publics ou privés, ateliers, pharmacies, rues et places de la commune. Le spectacle en préparation se répand ainsi dans tout le village, dont il dresse le portrait en creux. La caméra rebondit d’un habitant à l’autre, collectionne les visages et les prestations, et l’ensemble peut d’abord se voir comme un hymne à ces gens ordinaires auxquels le cinéma s’intéresse si rarement.

En abordant sur le registre lyrique l’ordinaire de la ruralité, voire une certaine fadeur villageoise, Une jolie vallée rend justice tout aussi bien au réel qu’à l’imaginaire. Non seulement la banalité communale (salle des fêtes, réfectoires, salons) est transfigurée par les numéros chantés, mais la légende romanesque des Mousquetaires, telle qu’habilement condensée par le livret, n’en trouve pas moins à s’incarner dans les corps et les silhouettes du quotidien. A travers cette façon enjouée et rayonnante de documenter, le film raconte surtout le besoin de fiction et d’aventures qui gît en tout un chacun. Le spectacle n’est autre qu’un espace d’évasion qui permet, une fois dans l’année, de se déguiser, de se prendre pour un autre.

Héritage populaire

Portrait d’une collectivité à l’œuvre, d’un petit bout de France mettant elle-même en scène son héritage populaire, Une jolie vallée aurait vite pu tourner au chromo rance, si Gaël Lépingle ne prêtait attention aux singularités de chacun : les fragilités du chant amateur donnent accès aux spécificités des personnes, jamais gommées, et la caméra passe sans cesse du groupe aux individus. Une magnifique scène consacrée aux enfants les saisit à tour de rôle révisant les paroles dans leurs chambres, faisant malgré tout corps grâce à la musique.

A travers toutes ces circulations, le film regorge de trouvailles de mise en scène, explorant toutes les façons possibles de « faire chœur », d’enchanter les « lieux communs ». La beauté rebondissante et la versification ludique des chansons, déclinées en versets et répons ou scandées en canon, qu’on emporte longtemps avec soi après la projection, ne gâchent rien au plaisir de l’ensemble. Cette merveilleuse rêverie d’à peine moins d’une heure est précédée en complément de programme par le court-métrage La Nuit tombée (2014), qui prolonge du côté de la fiction la sensibilité chorale du cinéaste.

Une jolie vallée - Bande-annonce VF
Durée : 01:02

Documentaire français de Gaël Lépingle (0 h 52). Sur le Web : cinesaintandre.fr