Arte, à la demande, documentaire

André Téchiné s’est peu confié intimement à la caméra des autres. Il a fini par accepter de le faire pour son ami le journaliste Thierry Klifa, qui a réalisé un portrait en petites touches intimes, mélancoliques et justes du cinéaste, dont la parole rapide élude, détourne ou avale parfois les mots sur un mode quasi modianesque.

Il faut donc des témoins pour compléter les « blancs » du réalisateur, aujourd’hui âgé de 76 ans, ou expliciter plus ou moins les choses. Ce sont Juliette Binoche – qu’il fit « naître à l’écran », selon l’expression de Téchiné lui-même – dans Rendez-vous (1985), Emmanuelle Béart, qui a tourné trois films avec lui (mais rien depuis Les Témoins, en 2007), et qui avoue, avec une pudique mélancolie, qu’elle aimerait qu’il « accompagne [s]es 60 ans ».

Elle dit du regard que, dans J’embrasse pas (1991), Téchiné portait sur le jeune acteur débutant qu’était Manuel Blanc : « Ce qu’il y a de beau dans ce regard sur une première fois est que cela provoque une première fois chez soi aussi. » Emmanuelle Béart décrit très subtilement comment, dans ce film, elle a été poussée à aller trop loin par un cinéaste qui, dans le même temps, veillait à ce qu’elle ne verse pas dans le fossé d’une trop grande prise de risque personnelle.

« Ses névroses sont drôles »

Sandrine Kiberlain, qui a tourné dans Quand on a 17 ans (2016), dit affectueusement du réalisateur que « ses névroses sont drôles » quand d’autres confirment le côté malicieux et plein d’humour d’André Téchiné, que son physique de Jacques Brel du Sud-Ouest n’annonce pas forcément. Et l’on devine, à travers le filigrane plus ou moins lisible des propos, qu’il n’a pas toujours vécu une vie d’ascète détachée du désir.

Isabelle Adjani (Barroco, 1976 ; Les Sœurs Brontë, 1979), se souvenant des soirées partagées avec Téchiné et certains de ses amis homosexuels, évoque « la beauté des relations entre garçons […] un monde d’intellectuels doux et pacifiques ». La comédienne, familière des jeux de cache-cache, intervient en voix off, ne voulant pas montrer, dit-elle, son émotion. Mais l’absence de son visage révèle en creux la grâce infinie du timbre de sa voix et la saveur, parfois énigmatique, de ses propos.

Portrait façon puzzle

Catherine Deneuve, qui fait partie de celles qui accepteraient, à l’entendre, n’importe quel scénario proposé par Téchiné, est devenue une amie proche. « C’est quelqu’un, dit-elle, dont j’aime les films et avec qui j’aime travailler. » Leur relation cinématographique est « comme une conversation qu’on reprend ». Téchiné dit de Deneuve en retour : « Je n’ai toujours pas percé son mystère. »

Quelques hommes complètent joliment le portrait façon puzzle. Dont Daniel Auteuil – qui constitua, avec Deneuve et l’inattendue Marthe Villalonga, le trio de Ma saison préférée (1993) – et le cinéaste Olivier Assayas, coscénariste de Rendez-vous, Le Lieu du crime (1986) et Alice et Martin (1998). On notera que, comme Téchiné et tant d’autres, Assayas fut d’abord critique de cinéma.

On aura été touché par l’évocation de Roland Barthes, dont Téchiné fut le proche, au point de le faire tourner dans Les Sœurs Brontë et d’évoquer la personnalité lourdement mélancolique de l’écrivain dans J’embrasse pas. L’empreinte de l’auteur de Mythologies (1957) demeure, qu’on relève dans ce propos de Téchiné : « Je ne crois pas que le cinéma ait le pouvoir de changer le monde, mais il a en revanche celui de créer des mythologies. »

André Téchiné, cinéaste insoumis, documentaire de Thierry Klifa (Fr., 2018, 52 min). www.arte.tv