« Dans l’éducation nationale, si on ne touche pas aux notes, il ne se passe jamais rien », lâche une enseignante du collectif des lycées des Deux-Sèvres, un regroupement d’enseignants contre la réforme du lycée. Alors qu’avait lieu, jeudi 4 avril, une journée de mobilisation contre la loi Blanquer, particulièrement suivie dans les écoles primaires, les enseignants du second degré s’organisent également pour mener des actions perlées contre les réformes du lycée et du bac. Plutôt que d’organiser une grève « qui coûte cher » et « ne fait réagir personne », ils sont de plus en plus nombreux à choisir le biais des notes pour alerter les parents d’élèves et l’opinion.

Au lycée Corot de Savigny-sur-Orge (Essonne), Emilie (la plupart des enseignants interrogés ont requis l’anonymat) raconte avoir mis 19/20 de moyenne à ses élèves de seconde et de première sur les bulletins du deuxième trimestre. « Nous avons mis la vraie moyenne dans les appréciations, pour que les élèves et leurs parents puissent apprécier leur progression », explique-t-elle cependant.

Sylvain Lagarde, responsable syndical du SNES dans l’académie de Toulouse, rapporte que le même principe a été appliqué « par une majorité de professeurs » au lycée Bourdelle de Montauban et, dans une moindre mesure, au lycée Clémence-Royer de Fonsorbes (Haute-Garonne) ou encore au lycée Saint-Exupéry de Blagnac (Haute-Garonne). Dans ces trois cas, « la direction de l’établissement a repris la main sur le logiciel et rétabli les notes justes », que les enseignants prennent soin de conserver.

Bac blanc « partiellement boycotté »

Dans certains établissements, les notes ont été « faussées », y compris pour les terminales. Les lycéens, qui devaient finaliser leur dossier sur la plate-forme Parcoursup avant le 3 avril à 23 h 59, s’inquiètent des conséquences de cette manipulation sur la sélection. Le ministère de l’enseignement supérieur assure cependant avoir « sensibilisé les recteurs sur les rappels à faire aux enseignants », de sorte que « le processus de remontée des notes des fiches Avenir dans Parcoursup s’est déroulé comme convenu ».

« Ces rectifications par la hiérarchie rendent très difficile la quantification du phénomène », souligne Sylvain Lagarde. De l’avis général, dans les rangs syndicaux comme du côté de l’institution, le recours aux « fausses notes » reste minoritaire, de même que le boycottage d’épreuves blanches ou d’épreuves anticipées, autre moyen de contestation. Au lycée Prévert de Longjumeau (Essonne), on a choisi le « boycottage du bac blanc », une méthode à la fois fortement symbolique et peu risquée, puisque les enseignants ne sont pas tenus de l’organiser.

Au lycée du Haut Val de Sèvre, à Saint-Maixent-l’Ecole (Deux-Sèvres), le bac blanc a été « partiellement boycotté », certains enseignants ayant organisé des devoirs type bac malgré tout. Au lycée Maupassant de Colombes (Hauts-de-Seine), une enseignante raconte que des oraux de TPE ont été reportés pour cause de grève, et des épreuves anticipées de langue du baccalauréat notées 20/20. Mais les véritables notes ont été conservées.

« Faire réagir » sans pénaliser les élèves

Les professeurs affirment en chœur leur volonté de « faire réagir » sans pénaliser leurs élèves. Quitte à abandonner, si leur action porte ses fruits. « Une fois passés les premiers conseils de classe où l’on mettait 20/20 de moyenne à tous, les parents ont réalisé qu’il se passait quelque chose d’important et sont venus échanger avec nous sur la réforme », raconte un enseignant du lycée Prévert de Longjumeau. « L’action ayant été suivie d’effet, nous avons préféré abandonner la méthode. Il reste difficile de ne pas mettre sa véritable moyenne à un élève qui s’est investi. »

Du côté des parents, les réactions sont en effet mitigées, entre crainte d’être pénalisés par les nouvelles méthodes de contestation et soutien aux enseignants en lutte. « Les notes faussées sont difficiles à vivre pour les élèves et leurs parents », souligne Samuel Cywie, porte-parole de la PEEP. « Pour ceux qui sont concernés par Parcoursup, cela génère beaucoup d’inquiétude, les enseignants doivent prendre leurs responsabilités. »

« En un sens, c’est irresponsable de traiter les enseignants d’irresponsables », s’amuse pour sa part Rodrigo Arenas, président de la FCPE. « Les parents s’inquiètent du boycottage des notes, peut-être, mais ils s’inquiètent encore plus de la réforme elle-même. » Quant au ministère de l’éducation nationale, il renvoie aux obligations réglementaires des enseignants, qui sont tenus de mener à bien les évaluations.