« Que nous est-il arrivé ? De la sidération à l’action devant les abus sexuels dans l’Eglise. » Auteur d’un article travaillé et informé portant ce titre dans la livraison de janvier-mars 2018 de la Nouvelle revue de théologie, Eric de Moulins-Beaufort va maintenant pouvoir joindre plus largement le geste à la parole. Le nouvel archevêque de Reims a en effet été élu, par ses pairs évêques, prochain président de la Conférence des évêques de France (CEF), mercredi 3 avril, à Lourdes, au cours de leur assemblée de printemps. Il succédera le 1er juillet à Georges Pontier, 75 ans, archevêque de Marseille, qui achèvera alors son second mandat de trois ans à la tête de la CEF.

Pas plus que son prédécesseur, il n’aura la tâche facile, tant l’Eglise catholique apparaît aujourd’hui fragilisée par l’accumulation de scandales sexuels. Mais c’est sans doute pour son implication de ces dossiers qu’il a été choisi. A 57 ans, Eric de Moulins-Beaufort incarne une nouvelle génération de l’épiscopat. C’est un fils de l’Eglise parisienne et un intellectuel. Ordonné prêtre en 1991 par Jean-Marie Lustiger, il a d’emblée enseigné aux futurs prêtres au séminaire de Paris. Curé de Saint-Paul Saint-Louis, dans le Marais, à partir de 2000, il fut ensuite, pendant trois ans (2005-2008), le secrétaire particulier d’André Vingt-Trois, qui succédait alors au cardinal Jean-Marie Lustiger comme archevêque de la capitale. Ordonné évêque en 2008, il a ensuite, pendant près de dix ans, été évêque auxiliaire de Paris. Il présidait aussi jusqu’à présent la commission doctrinale de la CEF.

C’est dans ses fonctions d’évêque auxiliaire qu’il a « reçu en pleine figure » la question des violences sexuelles dans l’Eglise, à laquelle il a été directement confronté. « Découvrir que des prêtres que nous connaissons, que nous estimons, sont abîmés intérieurement au point de faire du mal… Depuis 2016, ça a été extrêmement douloureux à vivre », avait-il déclaré à la chaîne KTO, lors de sa nomination comme archevêque de Reims, en août 2018. « Rien ne m’avait laissé même pressentir que j’aurai à constater tant de faits graves et inadmissibles commis par des prêtres à l’encontre de ceux et de celles qui leur étaient confiés ; rien ne me permettait d’imaginer que les autorités de l’Eglise pouvaient s’être montrées si peu attentives, si peu responsables, si peu soucieuses de tout tirer au clair face à de tels faits », a-t-il écrit aux catholiques de son diocèse de Reims, en février.

Archives « très parcellaires »

C’est en se chargeant des dossiers parisiens qu’il plonge dans les histoires particulières, rencontrant victimes et prêtres accusés. Cela lui permet de constater que les archives diocésaines sont souvent « très parcellaires ». « J’aspire à ce qu’un jour nous puissions faire un vrai rapport complet, en se faisant aider pour cela par des personnes extérieures, pour (…) avoir une sorte d’étude épidémiologique », indiquait-il au Monde en septembre 2018. Quelques jours avant cette assemblée des évêques, des victimes d’abus, reçues il y a six mois par les évêques, se sont indignées que rien n’ait bougé depuis le mois de novembre.

Il y avait deux absents remarquables à cette réunion bisannuelle de l’épiscopat français. Le premier est le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon. Condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Lyon pour non-dénonciation d’agressions sexuelles par l’un de ses prêtres, il est aujourd’hui « en retrait » de son diocèse. Le pape François, à qui il a offert sa démission au soir du jugement de première instance, l’a refusée, au motif que le cardinal a fait appel de sa condamnation. Cette décision du pontife a été mal reçue en France, y compris par de nombreux catholiques. Le vicaire général de Lyon, Yves Baumgarten, chargé de « gérer » le diocèse dans l’intervalle, s’est rendu au Vatican, lundi, pour demander « une solution plus pérenne » pour le diocèse.

Le second absent est le nonce – le représentant du pape. Luigi Ventura, qui est protégé par l’immunité liée au statut diplomatique, fait l’objet de plaintes pour attouchements sexuels de la part de plusieurs hommes, en France et au Canada.