C’est avec un marteau qu’un lycéen de 16 ans a agressé, mercredi 3 avril, un de ses camarades au lycée Jean-Macé d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Placé en garde à vue pour violences avec arme dans un établissement scolaire, le jeune homme, inconnu des services de police, devait être présenté, vendredi, à un juge pour enfant. Il aurait voulu « se venger » après avoir été victime de « happy slapping », une agression filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux.

Des inspecteurs du rectorat de l’académie de Créteil se sont rendus sur place afin de comprendre ce qu’il s’est passé. « Nous n’avons pas encore eu connaissance des vidéos en question, mais un accompagnement pédagogique sera mis en place dans l’établissement si les faits sont avérés », assure-t-on au rectorat.

Emmanuelle Piquet, psychopraticienne et fondatrice du centre de consultations et de formations dédié aux souffrances scolaires Chagrin scolaire, décrit le « happy slapping » comme « une façon d’amplifier la cruauté du harcèlement pour qu’il devienne viral et rendre ainsi la personne visée encore plus vulnérable ». Les vidéos sont souvent diffusées de manière dissimulée sous couvert d’anonymat pour échapper aux sanctions. Elles tournent généralement sur des groupes privés sur des réseaux sociaux comme Snapchat et WhatsApp, ce qui rend leur détection plus difficile par les établissements scolaires ou les autorités. « Cela crée des angoisses très fortes chez un certain nombre d’adolescents qui ont peur de se faire filmer à leur insu ou dans une situation humiliante », explique-t-elle.

« Mise en scène virale »

Les jeunes connaissent les spécificités dangereuses des contenus publiés sur les réseaux sociaux. Ceux-ci se propagent très vite et n’ont pas de limites temporelles : une vidéo ou une photo peut demeurer longtemps sur Internet, l’auteur ne pouvant parfois même pas maîtriser lui-même la diffusion des contenus.

Depuis une dizaine d’années, la pratique de cette forme de cyberharcèlement serait récurrente dans les établissements scolaires selon Mme Piquet. Dans une enquête nationale sur le climat scolaire et la victimation réalisée par le ministère de l’éducation auprès des collégiens, 18 % des jeunes interrogés ont déclaré en 2017 avoir été victimes de rumeurs, d’usurpation d’identité ou de diffusion de vidéos humiliantes sur les réseaux sociaux.

Les chiffres clés de l’enquête « Climat scolaire et victimation » menée en 2017

Les services de la DEPP, la direction des statistiques du ministère de l’éducation nationale, ont rendu publique jeudi 21 décembre leur dernière étude sur le « climat scolaire et la victimation ». Ils ont interrogé 21 600 élèves de 360 collèges représentatifs au printemps 2017, dans le public et le privé sous contrat, pour réaliser cette enquête nationale, après deux précédentes études réalisées en 2011 et 2013.

On y apprend que :

  • 94 % des collégiens affirment se sentir bien dans leur établissement. Ils étaient 92,5 % en 2013. Neuf sur dix pensent qu’on apprend plutôt ou tout à fait bien dans leur collège. L’opinion la moins positive concerne les punitions : seulement sept collégiens sur dix les trouvent justes.
  • 22 % des collégiens estiment qu’il y a plutôt beaucoup ou beaucoup de violence dans leur établissement, signe que l’inquiétude n’est pas négligeable. Pour certains élèves, ces problèmes peuvent provoquer de l’absentéisme ; 6 % des collégiens disent ne pas s’être rendus au collège au moins une fois dans l’année parce qu’ils avaient peur de la violence.
  • 13 % des élèves arrivés en classe de troisième – autrement dit, en fin de collège – estiment qu’il y a beaucoup ou plutôt beaucoup d’agressivité entre eux et les enseignants, contre 10 % en classe de sixième. L’opinion des élèves est ainsi moins positive au fil de la scolarité.
  • 18 % des collégiens déclarent avoir subi au moins une atteinte par l’intermédiaire des réseaux sociaux ou par téléphone portable (usurpation d’identité, vidéos humiliantes ou diffusion de rumeurs). Un sur dix dit avoir été insulté ou humilié à travers ces nouvelles technologies. Pour 7 %, cela s’apparente à du cyber-harcèlement, phénomène subi plus par les filles (8 %) que par les garçons (6 %). C’est aussi plus fréquent chez les élèves de troisième.

La psychopraticienne tient tout de même à relativiser les chiffres, qui sont pour elle « fortement sujet à caution puisque les adolescents refusent souvent de se qualifier de victimes, même dans des questionnaires » sous-entendant qu’ils seraient plus élevés.

« Il y a de grandes chances que l’adolescent qui en est victime continue à se faire harceler dans la cour de récréation. Le happy slapping n’est qu’une mise en scène virale de ce que subit l’enfant au quotidien », poursuit-elle.

Souvent, la victime refuse alors de retourner dans son établissement scolaire où ses camarades sont susceptibles d’avoir eu accès à ces images humiliantes, voire de les avoir rediffusées.

« Un sujet pris au sérieux »

Les établissements scolaires tentent de lutter contre le cyberharcèlement. « Depuis six ans, énormément d’outils sont déployés sur le sujet, assure-t-on néanmoins au ministère de l’éducation. Ce n’est pas pour ça que ça va disparaître du jour au lendemain. Mais c’est un sujet pris au sérieux, on essaie de former les adultes comme les enfants. » Emmanuelle Piquet salue les efforts des établissements :

« Il existe dans la très grande majorité des collèges de France des campagnes de prévention sur le cyberharcèlement en général qui en parlent et explicitent à la fois les conséquences dommageables pour la victime et les risques encourus au plan pénal. »

La loi prévoit en effet des sanctions contre le cyberharcèlement et notamment contre les auteurs d’happy slapping depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Une personne qui filme une agression est considérée comme complice et risque une peine à ce titre. Si en plus la vidéo est diffusée, la personne encourt jusqu’à cinq ans de prison, et une amende de 75 000 euros. Cependant « on ne peut pas intervenir sur tous les gens qui ont diffusé ou commenté la vidéo, déplore Emmanuelle Piquet. Or c’est bien cette viralité qui rend la souffrance de l’enfant ou de l’adolescent encore plus submergeante. »