Benyamin Nétanyahou, à Tel Aviv (Israël), le 2 avril. / TOMER APPELBAUM / REUTERS

Editorial du « Monde ». Les mots ne sont pas de simples bulles de savon, surtout lorsqu’ils sont prononcés par un dirigeant aussi madré et expérimenté que Benyamin Nétanyahou. Les propos tenus à la télévision par le premier ministre israélien, le 6 avril, à trois jours du scrutin législatif, marquent un tournant personnel et dessinent de sombres perspectives pour le pays. Pour la première fois, le chef de file du Likoud a dit que, si les électeurs lui confiaient un cinquième mandat, il soutiendrait l’extension de la souveraineté israélienne aux colonies en Cisjordanie, où vivent près de 400 000 juifs.

Le mot « extension » recouvre un projet porté par la droite nationaliste religieuse depuis longtemps : l’annexion. Une annexion qui serait inscrite dans la loi, alors qu’elle est déjà largement une réalité sur le terrain. Une annexion qui mettrait un terme officiel à l’occupation, régime supposé transitoire en vigueur depuis cinquante-deux ans et dont la longévité s’explique par son ambiguïté, permettant tous les abus et les arrangements avec le droit.

Les conditions sont réunies pour cette rupture historique, même si elle n’est pas certaine. Nous sommes à l’ère du fait accompli : la Russie a annexé la Crimée et Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, puis sa souveraineté sur le Golan. Le plan de paix préparé par l’administration américaine, s’il finit par être publié, devrait consumer les derniers espoirs de parvenir à une solution à deux Etats avec les Palestiniens.

Une stratégie limpide

Par ces simples mots, M. Nétanyahou banalise et rend acceptable l’idée d’appliquer la souveraineté israélienne à toutes les colonies : les blocs comme Maalé Adoumim ou le Goush Etzion, mais aussi les implantations isolées qui auraient dû être évacuées dans un règlement négocié avec les Palestiniens. Pourtant, « Bibi » avait bloqué ces dernières années des initiatives en ce sens, déposées par l’extrême droite à la Knesset.

Ce flou pousse certains à se rassurer à bon compte. Il ne s’agirait que d’un accès de démagogie classique et sans conséquence dans les dernières heures de campagne. Erreur, car la stratégie est limpide. Risquant d’être devancé par le parti Bleu Blanc de l’ancien chef d’état-major Benny Gantz, M. Nétanyahou lance la mobilisation générale à droite. Il joue sur le réflexe du vote utile en faveur du Likoud, pour éviter l’éparpillement des voix entre les petits partis.

Le premier ministre israélien se trouvait dans une configuration similaire il y a quatre ans. En mars 2015, dix jours avant les élections, il avait exprimé son hostilité à l’idée d’un Etat palestinien, qui reviendrait selon lui à offrir une plate-forme aux « attaques de l’islam radical contre Israël ». Le Likoud était alors dans une lutte incertaine avec l’Union sioniste. Finalement, en réussissant à siphonner les voix de l’extrême droite messianique, il avait obtenu un résultat imprévu et solide.

Mais, au-delà du simple cynisme électoral, les propos de M. Nétanyahou confirment sa fuite en avant populiste et identitaire. Focalisé sur sa survie face aux enquêtes judiciaires pour corruption qui le cernent, « Bibi » a organisé une polarisation politique détestable en Israël. La droite a imposé l’idée d’un affrontement entre « nous », les patriotes, et « eux » : les faibles, les traîtres, les gauchistes, les médias, les défenseurs des droits de l’homme. Tous ceux qui ne partagent pas ses projets. Tel est le vrai enjeu du scrutin du 9 avril.