Canal+, lundi 8 avril à 20 h 55, série

Un gros sac en bandoulière pour tout bagage, un homme au blouson de cuir raide et aux cheveux mi-longs négligés fuit la pluie sous un Abribus. En quête d’une cigarette et d’un peu de compagnie, il entame la conversation avec une jeune femme à l’air contrarié. « Il y a un truc que je peux vous offrir en échange de la clope. » Il met alors son casque audio sur les oreilles de la jeune femme. A l’écoute du mélancolique Something on Your Mind, de Karen Dalton, elle se met à pleurer doucement, égarée dans un souvenir dont on ne saura jamais s’il est triste ou heureux.

Ce Peter Pan un peu ringard se met à la recherche d’un toit et entame un chemin de croix qui le conduit à faire le tour de son carnet d’adresses

Ex-roi du vinyle, ancien as des platines, Vernon Subutex n’a qu’un seul talent, celui d’allumer le dance floor et de rallumer les gens. Disquaire à Paris dans les années 1990, il fut, le temps d’une décennie bénie, le centre de gravité d’une bande d’amoureux du son, essentiellement celui du rock.

Vingt ans plus tard, le streaming a mis l’industrie du disque au tapis et Vernon rame. Surtout qu’il ne s’est jamais vraiment résolu à tourner la page. Dans le premier des neuf épisodes adaptés par la réalisatrice et scénariste Cathy Verney du best-seller de Virginie Despentes, on le découvre en caleçon et tee-shirt, reluquant une fille devant sa webcam sur son ordinateur, cigarette au bec. Son magasin a fermé il y a déjà longtemps, on devine en creux qu’il n’a plus grand-chose à faire de ses journées. Les huissiers frappent à la porte pour lui rappeler une réalité qu’il refuse de voir : pas d’argent, pas d’appartement. Au revoir, monsieur.

Les lecteurs de la saga Vernon Subutex (Grasset, 2015-2017, trois tomes) connaissent la suite : rattrapé par sa désinvolture, ce Peter Pan un peu ringard se met à la recherche d’un toit et entame un chemin de croix qui le conduit à faire le tour de son carnet d’adresses pour appeler à l’aide sa vieille bande de potes.

Une ombre qui plane

Alex Bleach, ancien chanteur à succès de rock alternatif qui tente un come-back est le premier sur la liste. Interprété par Athaya Mokonzi, chanteur à l’étonnante voix d’outre-tombe, dont c’est ici la première apparition à l’écran (qu’il crève avec un charisme stupéfiant), Bleach se surnomme lui-même « la mauvaise conscience » de Vernon.

Hanté par une vieille douleur, Alex sniffe un rail de trop le soir de leurs retrouvailles et meurt presque sous les yeux de son ami, après avoir laissé un testament compromettant sur cassette vidéo, dont il fait de Vernon le dépositaire. Les épisodes suivants, qui ne couvrent que les deux premiers tomes écrits par Despentes, s’articulent autour de l’enjeu que représente ce testament pour la bande de Revolver, l’ancien magasin de Vernon. A la nécessité de trouver un toit s’ajoute alors pour Subutex celle de savoir pourquoi, ou à cause de qui, Alex est mort.

Lire dans le magazine « M » : Comment « Vernon Subutex » joue sa partition

La puissance de cette « dramédie », selon la formule consacrée, tient beaucoup à cette ombre qui plane au-dessus de Subutex, même si la trame narrative que la mort de Bleach fournit se révèle, au bout du compte, assez mineure par rapport au plaisir que trouvera le téléspectateur à mettre un visage sur chaque protagoniste des livres.

Le jeu de Romain Duris, tout en retenue, a à ce titre pour effet de mettre généreusement en valeur celui de ses partenaires. Comme dans toute œuvre chorale, certains personnages sont plus attachants que d’autres : mention spéciale à Sylvie (Florence Thomassin, formidable), l’ex-camée devenue grande bourgeoise mais toujours aussi frappée, Anaïs (la musicienne et chanteuse Flora Fischbach, convaincante), la jeune professionnelle propre sur elle, Xavier (Philippe Rebbot, irrésistible), le scénariste has been tyrannisé par sa femme…

Lire le portrait dans « M » : Romain Duris, incarnation de son époque

Un Christ fatigué

Si certaines intrigues secondaires manquent d’espace pour se déployer (la faute au format des épisodes, qui ne dépassent pas les trente-cinq minutes ?), telle l’idylle entre la Hyène (Céline Sallette) et Anaïs, ou encore la quête de la jeune Aïcha (Iman Amara-Korba) pour savoir la vérité sur sa mère, ex-grand amour d’Alex Bleach, le cheminement de Vernon fait solidement tenir l’ensemble et laisse peu de place aux temps morts, encore moins à l’ennui. Le regard de Cathy Verney, qui filme son héros comme un Christ fatigué, qui s’élève à mesure qu’il tombe à la rue, est pour beaucoup dans la réussite de cette adaptation.

Enrichie d’une bande-son aux petits oignons (qui a le mérite de ne pas jouer la carte, trop facile, de la nostalgie et du clin d’œil) pour accompagner les déambulations parisiennes et les flash-back de son héros, Vernon Subutex est une série touchante en ce qu’elle évoque un besoin universel, celui de ne pas oublier la personne que l’on a été à 25 ans.

Pour Cathy Verney, « Vernon Subutex parle de ce qu’on a perdu, mais aussi de ce qu’on peut retrouver ». Et il est vrai qu’au bout du chemin, c’est bel et bien la rédemption qui attend Vernon. Ou plutôt la conviction qu’une certaine idée du collectif, celle qui faisait battre le cœur de son magasin Revolver, n’est pas morte.

Lire la sélection d’adresses dans « M » : Vous aimez « Vernon Subutex », vous adorerez Paris 19e

VERNON SUBUTEX - Teaser
Durée : 00:39

Vernon Subutex, de Cathy Verney. Avec Romain Duris, Céline Sallette, Laurent Lucas, Emilie Gavois-Kahn… (Fr., 2019, 9 x 35 min). www.mycanal.fr