L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Faut-il qu’Anne Fontaine possède une bonne dose de malice pour s’emparer de la figure de Blanche-Neige, telle qu’elle apparaît dans le conte des frères Grimm. La cinéaste ne pouvait en effet guère trouver profil plus différent de ceux qu’affichent les héroïnes de ses films (Coco avant Chanel, La Fille de Monaco, Perfect Mothers, Gemma Bovery) que cette jeune fille dont la survie dépend des hommes. Sept nains qui la recueillent et l’assignent aux tâches ménagères, un prince qui la ranime d’un baiser.

Mais Anne Fontaine aime s’amuser, en passant d’un genre à l’autre (thrillers, biographie, comédie, récit érotique), en introduisant de l’ironie dans certains sujets graves… De Blanche-Neige, elle fait un personnage qui s’éveille au désir et le satisfait comme bon lui semble. La jubilation éprouvée par la cinéaste à cette métamorphose n’est hélas pas aussi communicative que ce à quoi on pouvait aspirer.

Pour son passage au cinéma et sa transposition dans le monde contemporain, le conte a été rebaptisé Blanche comme neige et la jeune fille, Claire (Lou de Laâge). Laquelle, orpheline, travaille dans l’hôtel de son défunt père, sous la direction de sa belle-mère, Maud (Isabelle Huppert), qui découvre que son propre amant est tombé amoureux de sa belle-fille.

Jalouse, la marâtre décide de se débarrasser de sa rivale, le plan échoue, et Claire est sauvée par un homme, Pierre (Damien Bonnard), qui la recueille dans sa maison où logent son frère jumeau, François, et un violoncelliste hypocondriaque, Vincent (Vincent Macaigne).

Désir à fleur de peau

Point de nains donc, dans Blanche comme neige, mais sept villageois qui, les uns après les autres, succombent aux charmes de la jouvencelle, ainsi soustraite à sa mélancolie.

Le désir désormais à fleur de peau, elle s’abandonne dans les bras de quatre d’entre eux. Les jumeaux, d’abord, puis Sam (Jonathan Cohen), dépressif depuis un échec amoureux, enfin Clément (Pablo Pauly), écrasé par la personnalité d’un père libidineux et masochiste (Benoît Poelvoorde).

Quand le conte ouvre un vaste champ à l’imagination, « Blanche comme neige » le referme en précisant le temps et l’endroit où l’histoire s’enracine

Fidèle aux principes du conte, dont les personnages répondent à des stéréotypes, Anne Fontaine ne s’embarrasse pas de psychologie. Claire, sensuelle et spontanée, assouvit son désir dès qu’il se manifeste. Les hommes – taiseux, benêt, dépressif ou timide maladif – cèdent aux assauts de la belle et, ne s’attendant pas à tant, en demeurent ébaubis.

Là où, dans la littérature pour enfants, les schémas simplifiés conduisent à l’identification, ils laissent de marbre au cinéma. Difficile en effet pour les adultes que nous sommes de trouver dans les héros qui peuplent le film d’Anne Fontaine matière susceptible de nous concerner.

Le propos féministe s’autodétruit

Quand le conte ouvre un vaste champ à l’imagination, Blanche comme neige le referme en précisant le temps et l’endroit où l’histoire s’enracine. A l’époque contemporaine dans laquelle se situe le film, face à une Blanche-Neige que la cinéaste a souhaité émancipée, la marâtre prend un autre sens.

La méchante sorcière offre désormais l’image d’une femme que la vieillesse aigrit à force d’être invisible aux regards masculins. Le propos féministe alors s’autodétruit. Aux dépens des hommes qui trimballent leurs haillons de misère.

La mise en scène, elle aussi, impose quand on aurait aimé qu’elle suggère. Gros plans qui empruntent aux peintres de la renaissance pour magnifier la sensualité de Claire, à Hitchcock pour fabriquer le suspense quand débarque la marâtre, plans larges sur la forêt brumeuse pour signifier la dimension fantastique… Autant d’artifices qui, loin de faire oublier l’incohérence du propos, l’aggravent.

Blanche Comme Neige : Bande-Annonce
Durée : 01:32

« Blanche comme neige », film français d’Anne Fontaine. Avec Lou de Laâge, Isabelle Huppert, Charles Berling (1 h 52). Sur le Web : www.gaumont.fr/fr/film/Blanche-comme-neige.html