Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée algérienne, à Alger, le 6 février 2019. / RYAD KRAMDI / AFP

« Le général-major Athmane Tartag, dit Bachir, conseiller auprès du président de la République chargé de la coordination des services de sécurité, a été démis de ses fonctions. La structure, dirigée depuis 2015 par M. Tartag, est dorénavant sous la tutelle du MDN », le ministère de la défense nationale.

Publié vendredi 5 avril par l’agence de presse officielle APS, ce texte laconique dément l’information, donnée auparavant par plusieurs médias algériens, selon laquelle Bachir Tartag aurait présenté sa démission à Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, quelques heures avant que le président annonce la sienne sous la pression de la rue et de l’armée. Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major et homme fort du moment, semble avoir tenu à signifier que Bachir Tartag a bel et bien été mis à la porte. La précision peut paraître anecdotique, mais elle traduit bien l’animosité entre ceux que certains, en Algérie, appellent les militaires « en tenue » et les militaires « en civil ». Une inimitié qui s’est singulièrement aiguisée, ces dernières semaines, avec les ultimes tentatives du clan présidentiel pour peser sur la transition.

Réapparition du général « Toufik »

Plus significative est l’annonce du rattachement de la Coordination des services de sécurité (CSS) au ministère de la défense nationale, et non plus à la présidence de la République. Avec cette mise sous tutelle, l’armée reprend la main sur des services de renseignement qui s’étaient au fil des décennies détachés de l’état-major, devenant un pouvoir autonome et dominant. Durant la « décennie noire », en particulier, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), créé en 1990, avait étendu son emprise à la faveur de la guerre opposant l’armée et les islamistes. Outre les fonctions classiques d’un service de renseignement, le DRS avait un rôle de police politique et exerçait une influence considérable sur les partis et les médias, lesquels seront de ce fait largement discrédités aux yeux de l’opinion.

L’ex-patron du DRS, Mohamed Médiène alias « Toufik », fait partie des généraux qui ont adoubé le président Bouteflika en 1999. Il l’a également soutenu en 2008, quand il s’est agi de violenter la Constitution et de lever le verrou de la limitation des mandats. Mais en janvier 2010, l’ouverture d’enquêtes sur des affaires de corruption impliquant le groupe pétrolier public Sonatrach a signé la rupture entre la présidence et le DRS. Le scandale éclabousse le ministre de l’énergie, Chakib Khelil, un ami d’enfance de Bouteflika, qui quittera le gouvernement dans le cadre d’un remaniement ministériel, le 28 mai 2010, avant d’être exfiltré vers les Etats-Unis pour éviter les poursuites – il fait l’objet d’un mandat international lancé par la justice algérienne.

Puis, en janvier 2013, l’attaque terroriste contre le complexe gazier d’In Amenas, dans le sud du pays, va être le point de départ d’un retournement de situation. Menée par les Signataires par le sang, un groupe dissident d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), elle est un échec cuisant pour le DRS. Le président Bouteflika entreprend alors, avec l’appui d’Ahmed Gaïd Salah, une restructuration des services de renseignement : affaibli, « Toufik » sera mis à la retraite le 13 septembre 2015 avant une dissolution du DRS. La récente réapparition du général Médiène, la veille de la démission de Bouteflika, lors de tractations de dernière minute, a suscité des alertes contre les manœuvres des « réseaux du DRS », qualifiés d’« Etat profond » et de « forces extra-constitutionnelles ».

Ahmed Gaïd Salah au centre du jeu

En 2016, le DRS a été remplacé par la CSS, rattachée à la présidence. Elle comprend trois directions : la sécurité intérieure, la sécurité extérieure et le renseignement technique. Bachir Tartag, ancien adjoint de Mohamed Mediène, est alors chargé de la coordination d’une partie des structures. Aujourd’hui, le retour de ces structures sous la coupe de l’état-major met Ahmed Gaïd Salah au centre du jeu. « Cette évolution est salutaire, car il y a désormais un pouvoir uni prêt à assumer sa responsabilité », estime l’analyste politique Abed Charef. Mais, précise-t-il, le revers de la médaille est que l’armée « se retrouve en première ligne, seule face au pays ».

Notre sélection d’articles pour comprendre la contestation en Algérie

La démission du président algérien Abdelaziz Bouteflika, le 2 avril, est une humiliante capitulation face à une population en révolte depuis la fin février. Le mouvement de protestation le plus important des deux dernières décennies en Algérie a poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour exprimer leur opposition à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika.

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