A l’approche de la date fatidique du 12 avril et alors que la première ministre britannique, Theresa May, en visite à Paris et à Berlin, tente d’arracher un nouveau report à ses partenaires européens, les partisans du Brexit viennent de perdre un de leurs plus fervents compagnons de route. L’éditorialiste et écrivain conservateur britannique Peter Oborne l’a reconnu dans une longue tribune publiée, dimanche 7 avril, sur le site openDemocracy : le 23 juin 2016, en glissant dans l’urne un bulletin favorable au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), il s’est trompé. Plus précisément, il admet que ce Brexit qu’il a cru un temps prometteur s’est transformé en cauchemar pour son pays. L’affirmer lui en coûte mais, pour M. Oborne :

« Le Brexit a paralysé le système. La Grande-Bretagne est devenue la risée de tous. Et il est certain que le Brexit nous appauvrit, qu’il entraînera une baisse des revenus et des pertes d’emplois. (…) Donc, en tant que brexiter, je soutiens que nous devons prendre une longue et profonde respiration. Nous devons ravaler notre fierté, et réfléchir à nouveau. Peut-être qu’il faut repenser complètement la décision du Brexit. »

« Fausses promesses »

Pour M. Oborne, le Brexit est finalement une mauvaise affaire pour le Royaume-Uni. Le célèbre essayiste et chroniqueur du journal conservateur The Daily Mail s’en est expliqué à nouveau lundi sur la chaîne de télévision à grande écoute Channel 4, une cravate à l’effigie de Bart Simpson nouée sous le col élimé d’une chemise élégante.

« Les promesses économiques des partisans du Brexit se sont révélées fausses, en définitive », a-t-il regretté, citant pêle-mêle les annonces en série de la part de groupes industriels ayant déjà renoncé à des investissements au Royaume-Uni ou encore la faiblesse désormais évidente d’un pays seul sur la scène commerciale mondiale, face au protectionnisme de la Chine de Xi Jinping et des Etats-Unis de Donald Trump, et enfin tous les autres « coups fatals quotidiens » portés à l’économie du pays.

La chroniqueuse du magazine conservateur The Spectator, Melissa Kite, brexiter toujours convaincue qui lui donnait la réplique, estimait pour sa part que la situation du pays n’était non pas due au Brexit mais à l’absence de Brexit. Elle est allée au cours du débat jusqu’à l’accuser de ne pas avoir vraiment voté pour quitter l’UE comme il le prétend.

'Why I changed my mind on leaving EU’ - Peter Oborne debates Melissa Kite on Brexit
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Si les réactions positives au revirement de M. Oborne sont nombreuses sur les réseaux sociaux, le véritable dialogue de sourds entre les deux éditorialistes a suscité les commentaires amusés d’utilisateurs britanniques de Twitter, qui ont désormais pris l’habitude de réagir par un humour un brin désespéré aux vicissitudes que traverse leur pays.

« L’Union européenne n’est pas l’Allemagne nazie »

L’argument économique que Peter Oborne a répété sur les ondes de BBC Radio 4 lundi et au micro de la radio en ligne LBC n’est pas le seul que l’éditorialiste avance pour expliquer les raisons de sa conversion au « Remain ». Sa tribune, très commentée, démonte méthodiquement et en détail les idées qui l’ont incité, comme des millions d’autres électeurs, à se prononcer en 2016 en faveur d’un retrait de l’UE et reconnaît sa profonde ignorance à lui, l’éditorialiste réputé, de la nature même du cadre européen et de ce qu’il offre Royaume-Uni.

Il dénonce notamment les fantasmes historiques encore en vogue chez certains partisans du Brexit qui identifient l’UE de 2019 aux projets napoléoniens, voire même nazis, d’hégémonie continentale auxquels les Britanniques s’enorgueillissent d’avoir résisté.

Peter Oborne ressent même la nécessité de rappeler que la seconde guerre mondiale, tout comme les guerres napoléoniennes, sont terminées :

« Nous ne sommes pas en 1939, ni pendant la bataille de Waterloo en 1815. (…) L’Union européenne n’est pas une dictature aussi hostile aux identités nationales que la France de Napoléon. Elle ne peut pas non plus être comparée à l’Allemagne nazie – une analogie insensée qui est devenue un cliché hideux et qui montre une incompréhension impardonnable de la véritable horreur de l’histoire européenne récente. »

Un brexiter qui a compris le Brexit

Revenant par ailleurs sur les méthodes déloyales voire illégales qu’a adoptées la campagne du « Leave » avant le référendum de 2016, Peter Oborne fait aveu de sa propre naïveté lorsqu’il évoque l’angoisse la plus profonde que représente pour lui le Brexit, à savoir la perspective d’un morcellement fatal du Royaume-Uni.

Outre les velléités d’indépendance des nationalistes écossais, eux-mêmes pro-européens et au pouvoir à Edimbourg, il prend peur au sujet des tensions latentes qui sommeillent sous la frontière entre les deux Irlandes, tensions dont il admet lui-même redécouvrir l’existence :

« Je n’avais pas prévu que la popularité de notre union avec l’Irlande du Nord pourrait fléchir si la facilité des échanges avec la République d’Irlande était menacée. Comme presque tout le monde, j’ai sous-estimé l’importance de l’accord du Vendredi Saint [signé en 1999 pour mettre fin à trente années de guerre sur l’île entre nationalistes irlandais, loyalistes et forces britanniques]. Et, tous, nous avons mal compris la question irlandaise, même si elle occupe une place très importante dans notre histoire depuis cinq cents ans. »

Le retour d’une frontière dure en Irlande, susceptible de relancer le conflit, avait été totalement occulté lors de la campagne du référendum sur le Brexit.

Rien, pour autant, dans la position nouvelle de M. Oborne ne relève d’une quelconque adhésion au projet européen. C’est uniquement de l’intérêt national britannique qu’il est question. Son texte est toujours celui d’un brexiter, mais d’un brexiter qui a finalement compris le Brexit.

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