Editorial du « Monde ». Il n’aura fallu que cent jours aux Brésiliens pour réaliser que le militaire qu’une majorité avait porté au pouvoir ne serait pas le « sauveur de la patrie » tant attendu. Après un trimestre chaotique à la tête de l’Etat, Jair Bolsonaro, élu haut la main en octobre 2018, s’effondre dans les sondages. Avec 32 % d’opinions favorables, l’ex-capitaine de l’armée récolte le pire score d’un président en début de mandat, moins que ses ennemis jurés de la gauche, Lula et Dilma Rousseff, mais aussi que ­Fernando Collor, destitué deux ans seulement après sa prise de fonctions, en 1990.

Après trente ans de carrière comme député, où il s’était davantage illustré pour sa grossièreté et ses provocations que pour son travail législatif, Jair Bolsonaro ne semble pas prendre la mesure de ses responsabilités. Loin d’être le rassembleur d’un pays fracturé depuis la destitution de Dilma Rousseff en 2016, le chef d’Etat s’est comporté au fil des semaines comme s’il menait toujours campagne. Dénonçant les « gauchistes », chassant le « marxisme culturel » qui se serait emparé du pays ou critiquant la pseudo- « théorie du genre » qui mettrait en péril « l’innocence des enfants », il s’est adressé à son électorat le plus radical et a oublié le reste du pays, qui reste confronté à des défis colossaux.

Epaulé par ses fils, omniprésents au sommet de l’Etat sans avoir la moindre fonction officielle, le sexagénaire gouverne à coups de Tweet et de live sur Facebook, tandis que ses ministres multiplient les annonces suivies d’autant de reculades. Surnommé le « Trump des tropiques », Jair Bolsonaro a confirmé, par ce mépris du politiquement correct, les similitudes avec son modèle américain.

Mais si Donald Trump peut se targuer de statistiques économiques a priori flatteuses, au Brésil, les espoirs des milieux d’affaires misant sur une reprise rapide de l’économie ont été douchés. La croissance patine, le taux de chômage reste élevé, la dette et le déficit publics continuent de se creuser. Les dérapages et les saillies verbales, qui ont émaillé sa campagne, n’ont été tolérés par les marchés financiers que dans le cynique espoir qu’il assainirait l’économie brésilienne. Son incompétence sur ce plan les prend à rebours.

Saboteur de sa propre politique

En un trimestre, à peine un cinquième des objectifs du gouvernement pour la période ont été atteints. L’un des projets-phares de ce mandat, à savoir la mise en place rapide d’une réforme des retraites, visant à soulager les finances publiques, se fait attendre. A défaut d’être bloqué par une opposition devenue inexistante, le projet du ministre de l’économie, Paulo Guedes, est gêné par Jair Bolsonaro lui-même. Saboteur de sa propre politique, le chef d’Etat s’est évertué à offenser le président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia, homme-clé pour l’adoption de cette réforme au Congrès.

Sur l’éducation, sur l’environnement ou sur la lutte contre la corruption, le fiasco est tout aussi patent. Au-delà d’une idéologie surannée et méphitique par certains aspects, Jair Bolsonaro donne le sentiment de n’avoir guère d’idées sur la façon concrète de diriger le pays. Le président a lui-même reconnu son insuccès. « Pardonnez les erreurs, je ne suis pas né pour être président, je suis né pour être militaire », a-t-il confié, le 5 avril. Quand on sait qu’il a été mis en réserve de l’armée à 33 ans après un procès pour indiscipline, le mea culpa n’a rien de rassurant. Au-delà des coups de menton d’un officier de réserve, les Brésiliens attendent surtout des résultats.