L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Pour réaliser Le Grain et l’ivraie, huitième film d’une série de documentaires dénonçant le « saccage » (pour reprendre le titre du premier long-métrage de cette entreprise, Mémoire d’un saccage) de l’Argentine par les puissances économiques, internationales et intérieures, Fernando Solanas a voyagé à travers son pays, de Salta à la pampa, de Rosario à Mar del Plata.

Ce voyage, l’octogénaire le commence comme cinéaste, le termine comme sénateur. Solanas a le droit de changer de casquette (c’est une métaphore, très présent à l’écran tout au long du film, il arbore toujours le même couvre-chef) : il réalise des films depuis la fin des années 1960, siège à la Chambre haute de son pays depuis 2013, après avoir été député.

Mais cette polyvalence fait tanguer Le Grain et l’ivraie. Les premières séquences, tournées dans la province de Salta (celle-là même où Lucrecia Martel a filmé, entre autres, son magnifique récit colonial, Zama), captent le désarroi et la misère des Wichi, premiers occupants du territoire, chassés par la déforestation et l’emprise inexorable des champs de soja transgénique. Solanas filme posément, sans emphase, cette catastrophe, donnant en quelques plans une idée de son ampleur géographique et historique : les Wichi sont les ultimes victimes à la fois de l’extension de la culture industrielle et de la colonisation du continent américain.

Epandages sur les cours d’école

Mais, très vite, la voix professorale, empreinte de patience et de conviction, de Fernando Solanas s’empare de la bande-son. Cette étape à Salta n’est que le prélude à la dénonciation des maux de l’agro-industrie et à la promotion des modes alternatifs d’agriculture. A l’écran,, ce projet se traduit par la succession d’intervenants qui détaillent avec science et conviction les conséquences tragiques de l’introduction de semences génétiquement modifiées par Monsanto. Ils s’adressent à Solanas comme à une figure politique nationale, l’appelant de son diminutif, « Pino », adaptant leur discours au projet militant du réalisateur.

Après avoir vu « Le Grain et l’ivraie », on n’accordera plus le même respect aux steaks argentins

Non seulement le soja transgénique et son cortège d’intrants chimiques, dont le glyphosate, menacent la santé des populations – une institutrice explique que les avions qui épandent les produits n’essaient même pas d’éviter les cours d’école –, mais ils entraînent la désertification des campagnes, la transformation des cultures et de l’élevage. Après avoir vu Le Grain et l’ivraie, on n’accordera plus le même respect aux steaks argentins. Le parti pris de ne filmer l’adversaire qu’à travers ses machines et ses édifices, avions qui épandent désherbants et insecticides, camions qui apportent les pièces détachées d’une usine que veut construire Monsanto, silos colossaux… accentue le ton démonstratif du discours.

Heureusement, Fernando Solanas ne peut s’empêcher de faire du cinéma. Lorsqu’il filme le rio Parana sillonné de cargos emportant le soja vers l’Extrême-Orient, quand il flâne dans les bourgades endormies (ou désertées) à des centaines de kilomètres de Buenos Aires, l’image prend le pas, sans pour autant brouiller le discours.

Le Grain et l'Ivraie un film de Fernando Solanas
Durée : 02:12

Documentaire argentin de Fernando Solanas (1 h 37). Sur le Web : www.nourfilms.com/le-grain-et-livraie