La juge Kuniko Ozaki lors de sa prestation de serment devant la CPI, à La Haye, le 20 janvier 2010. / BAS CZERWINSKI / AFP

Fin août 2018, trois juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont entamé leur délibéré dans l’affaire visant Bosco Ntaganda. Le milicien congolais est jugé pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en 2002 et 2003 en Ituri, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Au cours de son procès, ouvert en septembre 2015, plus de 70 témoins ont raconté les meurtres, les attaques de civils, les transferts forcés de populations, les viols, l’enrôlement d’enfants. Mais faudra-t-il annuler les trois années de procès de l’ex-commandant des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) ?

Depuis le 11 février, l’une des trois juges qui siègent dans cette affaire n’exerce plus qu’à mi-temps. Le temps restant, Kuniko Ozaki le consacre à ses nouvelles fonctions d’ambassadrice du Japon en Estonie. En conséquence, l’avocat de Bosco Ntaganda, Stéphane Bourgon, a réclamé début avril la suspension du délibéré, le temps de « vérifier si la juge Kuniko Ozaki doit être disqualifiée ». Selon les textes de la CPI, seuls les trois juges ayant siégé au procès peuvent délivrer le verdict. Puisque aucun juge suppléant n’a suivi le procès, la disqualification de la juge japonaise entraînerait donc sa reprise totale…

Début janvier, Mme Ozaki avait demandé et obtenu de la présidence de la Cour de n’exercer son mandat qu’à mi-temps, pour « des raisons personnelles », à partir du 11 février. Mais la juge avait en fait des ambitions plus professionnelles, comme le prouvera, le 13 février, sa nomination à Tallinn. A ses collègues magistrats de La Haye, elle explique alors qu’en cas d’opposition, elle démissionnera, laissant planer le spectre d’une annulation du procès. Le 4 mars, les juges de la CPI donneront finalement leur feu vert, arguant que sa nomination n’était « pas incompatible avec les exigences de l’indépendance judiciaire » et s’asseyant, face à ce dilemme, sur le code d’éthique interdisant aux juges toute activité politique. Seuls trois juges s’y sont opposés.

« Un chantage manifeste »

Sur son blog, Kevin Jon Heller, professeur de droit international à l’université d’Amsterdam, dénonce « un chantage manifeste, profitant du fait que Kuniko Ozaki savait que ses collègues ne voudraient pas recommencer un procès qui a commencé il y a plus de trois ans ». Pour lui, « elle doit démissionner ou être destituée » par l’assemblée des Etats parties à la Cour, chargés de l’élection des juges.

A l’ambassade du Japon à La Haye, on explique que le mandat de Mme Ozaki avait expiré depuis le 10 mars 2018, même si la juge doit siéger jusqu’au prononcé du verdict et, en cas de condamnation, de la sentence. « Le budget 2019 de la CPI [dont le Japon assume près de 17 %, en tête des contributeurs] a été élaboré en partant du principe que l’intervention de la juge Ozaki dans cette affaire s’arrêterait fin mars 2019 », explique la diplomate Yoshiko Kijima.

Cette affaire, qui pourrait entraîner un nouveau fiasco de la Cour, est symptomatique de ses nombreux travers : des Etats membres dont le soutien dépasse rarement les déclarations de principe, à moins de servir leurs intérêts propres ; des personnels qui privilégient leur carrière aux principes les plus élémentaires… De leur côté, les avocats des 2 123 victimes de l’affaire Ntaganda s’opposent à la suspension du délibéré, arguant que « dans un tribunal qui s’engage à rendre justice aux victimes, l’équité globale de la procédure implique également les droits des victimes ». Des victimes de crimes commis il y a seize ans, rappellent-ils.