Le prix Mies van der Rohe 2019, prix d’architecture contemporaine bisannuel décerné par l’Union européenne, a été attribué à la transformation de 530 logements sociaux dans la cité du Grand Parc à Bordeaux (Gironde), a annoncé, mercredi 10 avril depuis Bruxelles, le jury présidé par l’architecte danoise Dorte Mandrup. Cette réhabilitation d’ampleur a été réalisée sur trois immeubles par l’agence Lacaton & Vassal, et par celles de Frédéric Druot et de Christophe Hutin.

Parmi les 383 ouvrages issus de trente-huit pays dont quatorze extérieurs à l’UE, l’architecture française – qui alignait sept projets parmi les quarante derniers lauréats en lice – a également été honorée par le prix Architecture émergent 2019. Ce dernier a été remis au cabinet BAST de Toulouse pour le réfectoire scolaire de Montbrun-Bocage (Haute-Garonne). Les deux prix sont dotés respectivement de 60 000 et 20 000 euros.

Le travail réalisé à Bordeaux par Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal et leurs partenaires est exemplaire. La cité du Grand Parc, construite dans les années 1960, a longtemps été considérée comme un périmètre sans attrait de la ville. Les Bordelais(es) du centre s’y rendaient éventuellement pour prendre part aux activités du centre d’animation, orné d’une grande fresque, sérieusement décrépie, signée par l’artiste Annette Messager ou, surtout, pour sa salle des fêtes, haut lieu de l’univers des musiques rock et apparentées, fermée pendant plus de vingt ans et réhabilitée en juin 2018. Les mêmes ne s’éternisaient pas dans ce décor à la triste uniformité qui incarnait jadis la modernité triomphante du grand ensemble. Depuis 2007, le quartier compte parmi les sites bordelais classés au patrimoine de l’Unesco.

Solide greffe modulaire

Le défi des architectes pour les trois immeubles du programme GHI (comme Gounod, Haendel et Ingres, leurs noms) porté par Aquitanis, office public de l’habitat de la Communauté urbaine de Bordeaux, a consisté à redonner de l’espace, de la visibilité et de la lumière au quotidien de ces lieux et aux personnes qui les habitent. Selon le principe qu’ils avaient appliqué à la tour Bois-le-Prêtre dans le 17e arrondissement de Paris, projet pour lequel ils ont obtenu l’Equerre d’argent en 2011, Lacaton et Vassal ont accroché aux bâtiments, tel un jeu de construction, une structure enveloppante qui vient s’ajouter à l’une des anciennes façades.

Cette solide greffe modulaire, en béton et en métal, offre à chaque logement 25 à 45 m2 supplémentaires qui s’ouvrent sur le paysage alentour. Ces espaces, qui disposent de grands rideaux occultant et de fenêtres coulissantes en polycarbonate (l’un des matériaux fétiches du couple d’architectes), peuvent devenir des pièces à vivre, des terrasses ou des jardins d’hiver. Le gain de confort et d’usage est stupéfiant, l’intervention transformant les petites baies d’origine en généreuses portes-fenêtres. L’été, vu de l’extérieur, le mouvement ondulant des rideaux, lorsque le vent se lève, donne un air de bord de mer aux façades tournées vers le soleil.

Vue du programme GHI en cours à la cité du Grand Parc à Bordeaux. / PHILIPPE RUAULT

« A une époque où les commissions responsables des logements sociaux réclament une réduction des surfaces des appartements, les volumes sont ici augmentés, a souligné le jury du prix Mies van der Rohe dans son communiqué. Ils apportent ainsi de la dignité et une plus grande valeur à l’individuel et au collectif. » Si les interventions de Lacaton et Vassal adoptent des solutions techniques simples, mais efficaces, répondant, selon leurs propres termes, à l’« esthétique de l’essentiel » (tels le Frac Nord-Pas-de-Calais à Dunkerque ou les aménagements du Palais de Tokyo à Paris), leur logique constructive intègre également des considérations sonnantes et trébuchantes.

Générosité

Au Grand Parc ou à Bois-le-Prêtre, la transformation, réalisée en site occupé (ce qui permet de ne pas avoir à reloger ses habitants le temps du chantier), a permis de faire d’appréciables économies par rapport à l’habituelle logique de destruction/reconstruction. De plus, leur proposition a apporté des solutions concrètes aux problèmes de déperditions énergétiques, les extensions offrant un équilibre bioclimatique qui profite au portefeuille des occupants. Cerise sur le gâteau : en accord avec le maître d’ouvrage, l’équation générale du programme a permis d’augmenter la surface de logements… mais pas le prix des loyers.

« L’ensemble représente une opportunité de choix pour le logement social, basé sur l’optimisme et la modernité, rempli de générosité, conclut le jury dans ses attendus. [Il donne] un nouveau visage à l’architecture et à ses possibilités. » Déjà nommée en 1997 pour le prix Mies van der Rohe, l’agence Lacaton & Vassal avait été lauréate, en 2008, du Grand prix national de l’architecture, distinction décernée en France par le ministère de la culture et de la communication pour l’ensemble de son œuvre bâti.