Manifestation devant l'ambassade du Soudan à Paris, le 11 avril. / Augustine Passilly

A Paris, les portes de l’ambassade soudanaise sont fermées. Pas moins de dix camions de CRS sont stationnés devant, rue Alfred-Dehodencq, dans le XVIe arrondissement de Paris. C’est donc quelques mètres plus loin, au croisement avec la rue de Franqueville, que se sont rejoints, vers 15 heures ce 11 avril, une vingtaine de manifestants.

Déclaré deux jours plus tôt auprès de la préfecture de police, ce regroupement prend un tour particulier en ce jour de chute du président soudanais Omar Al-Bachir, au pouvoir depuis trente ans. Les exilés, majoritairement réfugiés politiques arrivés en France pour fuir ce régime dictatorial, regrettent, malgré les manifestations de milliers d’opposants, depuis le 19 décembre que le changement n’aille pas assez vite.

Le départ d’Al-Bachir ne change rien

Quelques minutes avant leur réunion, le ministre de la défense et vice-président, Awad Ahmed Ibn Auf a annoncé prendre la tête d’un gouvernement militaire de transition pour une durée de deux ans, feignant d’ignorer la soif d’autre chose de la part des Soudanais. « Nous n’avons pas besoin des militaires, mais d’une personne choisie par le peuple, un professeur ou un défenseur des droits de l’homme, par exemple », affirme Mansour, réfugié politique de 35 ans.

Certains saluent, certes, le départ d’Omar Al-Bachir, mais les slogans, qui résonnent de plus en plus fort au fur et à mesure que le cercle s’élargit pour atteindre une cinquantaine de manifestants, condamnent également son successeur, Awad Ahmed Ibn Auf. « Un premier pas a bien été franchi en destituant le président, mais ce n’est pas une victoire pour autant », insiste Adam Ali, 25 ans, arrivé en France en mai 2018. Ce réfugié politique affirme être en contact permanent avec ses amis restés sur le sol soudanais qui ne comptent pas, eux non plus, renoncer. Pour les contestataires, l’annonce du désormais ex-ministre de la défense sonne même comme un appel à poursuivre la mobilisation. « Aujourd’hui, le coup d’Etat a incité des millions de gens à rejoindre le mouvement, renchérit Mohammed Amir, réfugié de 36 ans ayant passé 57 jours dans les prisons de l’Etat soudanais. Nous n’avons pas d’autre choix. Nous devons continuer la révolution jusqu’à ce que ce régime s’en aille. »

La situation se dégrade

Or, rien n’est acquis pour la suite du mouvement. Agitant un petit drapeau soudanais, Hala Babikir ne cache pas ses craintes face aux mesures annoncées par le nouveau dirigeant Awad Ahmed Ibn Auf. « Je pense que la situation se révèle à présent plus catastrophique qu’il y a trois mois, déplore cette Franco-Soudanaise, arrivée en France il y a vingt-sept ans pour suivre son mari réfugié politique. Le couvre-feu et l’état d’urgence [mesures décrétées le 11 avril pour trois mois] ont été instaurés pour réprimer les manifestants. » Dans son élégant manteau rouge, Hala Babikir s’inquiète aussi du sort des militaires – occupant souvent les rangs les plus bas de l’armée – qui se sont rangés du côté du peuple.

Alors, cette conseillère municipale qui était venue en France pour achever ses études, en appelle à son pays d’adoption, prévenant que « si des massacres sont commis, la communauté internationale en sera responsable. » Les Soudanais qui se sont rassemblés à Paris, mais aussi dans d’autres villes de l’Hexagone comme à Lille, espèrent susciter une réaction forte des Etats pour contraindre le régime à accepter une transition démocratique. « Nous devons, en tout cas, convaincre les pays occidentaux de cesser de supporter l’armée soudanaise en lui fournissant des armes qu’elle utilise ensuite contre le peuple », renchérit Adam Ali, le jeune réfugié récemment arrivé à Paris.

Un manifestant de la rue Alfred-Dehodencq brandit d’ailleurs une photo d’un des « martyrs » du mouvement, tué par balle le mois dernier alors qu’il s’opposait pacifiquement aux forces de l’ordre. Au moins 43 personnes ont perdu la vie depuis le début des manifestations. Un bilan qui ne devrait pas s’arrêter là, selon Mansour, qui craint « beaucoup plus de morts dans les prochaines vingt-quatre heures ».

Après trente ans de pouvoir au Soudan, comment Al-Bachir a été destitué par l’armée
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