La controverse sur les vaccins a été ravivée en France par la décision de la ministre de la santé Agnès Buzyn d’étendre l’obligation vaccinale en 2017. / LINDSEY WASSON / REUTERS

La controverse sur les vaccins ravivée depuis deux ans, en France, par la décision de la ministre de la santé Agnès Buzyn de rendre obligatoires 11 vaccins (contre trois auparavant), a connu un nouveau développement juridique devant le Conseil d’Etat, mercredi 10 avril. Deux requêtes y étaient jugées au fond. La première, introduite par la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, critiquait le principe même de l’extension de cette obligation pour les nourrissons nés après le 1er janvier 2018. La seconde, présentée par l’Institut pour la protection de la santé naturelle (IPSN) et un collectif de 3 047 personnes, dénonçait la présence d’adjuvants à l’aluminium dans les préparations.

Dans les deux cas, le rapporteur public – chargé de proposer la solution juridique qui lui semble la plus appropriée, mais à laquelle les juges ne sont pas tenus – a conclu au rejet des requêtes. Le Conseil d’Etat juge le droit, et « au risque de décevoir les requérants (…), ces dossiers ne nous semblent pas poser de difficultés juridiques en l’état actuel des connaissances scientifiques » a rapidement énoncé Rémi Decout-Paolini.

Pas de débat, donc, lors de cette audience, sur le doute scientifique ou le principe de précaution comme l’auraient espéré les 3 000 requérants qui demandaient à la ministre de la santé d’exiger des laboratoires qu’ils remplacent les adjuvants à l’aluminium par d’autres, qui ne seraient pas sujets à caution. « En l’état actuel des connaissances scientifiques », cela n’a pas lieu d’être, a estimé le rapporteur public. Lequel a aussi rappelé aux partisans des libertés individuelles – avoir le choix, ou non, de faire vacciner son enfant – que dans le cas précis celles-ci passent après les impératifs de « santé publique » : immuniser une large population contre une maladie permet de protéger les personnes qui, pour des raisons de santé, ne peuvent pas recevoir les injections.

« Large consensus dans la population »

Le choix fait par le Conseil d’aborder ces deux requêtes ensemble – même si fondées sur des motifs juridiques distincts – a permis d’exposer des conclusions en grande partie communes aux deux dossiers. Dans un bref rappel historique, le rapporteur public a rappelé que c’est grâce à une politique de vaccination massive que la variole, cette « terrible » maladie, a été déclarée éradiquée de la surface du globe en 1980. Les résistances aux vaccins ne sont pas nouvelles, a-t-il ajouté. Le fait d’« introduire des membres pathogènes inactivés dans un corps sain » a toujours suscité des débats. Pour autant, la vaccination rencontre « un large consensus dans la population », assure-t-il, même si « à mesure que s’effacent les grandes épidémies du passé », le débat sur les effets indésirables et les accusations ressurgissent.

A l’appui de sa requête, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations dénonçait, « l’excès de pouvoir » de la ministre de la santé qui a décidé du passage de trois à onze vaccins obligatoires. Mais, selon le rapporteur, c’est bien « au ministre de la santé qu’il appartient d’élaborer la politique de vaccination ». Sur le droit au respect de la vie privée – autre moyen évoqué – le conseiller a rappelé que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a déjà répondu à cette question : « certes, il y a une ingérence dans la vie privée, mais celle-ci est admise s’il y a des considérations de santé publique. »

Pour cela, « il doit y avoir un rapport favorable entre la contrainte et le bénéfice attendu pour la collectivité », une prise en compte « de la gravité de la maladie », mais aussi « celle de l’efficacité du vaccin ». Or, les conséquences « aiguës » de ces maladies, pour la plupart très contagieuses, ne sont plus à démontrer. Et les vaccins – dont « aucune institution scientifique en France et à l’étranger ne considère la dangerosité », précise-t-il – sont efficaces : « entre 85 et 90 % pour la coqueluche », et à « plus de 90 % pour les autres ».

Un « vide scientifique »

C’est à ce moment de l’audience qu’il fut question de la polémique sur les adjuvants aluminiques. En France, l’équipe du professeur Romain Gherardi, de l’hôpital Henri Mondor à Créteil, a décrit, en 1998, la myofasciite à macrophages. Or, pour ce médecin, le lien entre la vaccination et l’apparition des symptômes de cette maladie (fatigue chronique souvent associée à des troubles cognitifs) chez certaines personnes dont l’organisme ne parviendrait pas à éliminer les sels d’aluminium injectés ne fait plus guère de doute.

Bien sûr, Rémi Decout-Paolini a entendu parler de ces recherches. Mais ces observations sont « limitées à très peu de cas », et ne l’ont été « curieusement » qu’en France. Par ailleurs, poursuit-il « il n’appartient pas au juge » de se prononcer sur de tels travaux et « de faire valoir des études contestées au détriment du consensus de la communauté scientifique ». « Compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques », insiste le rapporteur public, « les pouvoirs publics », n’ont aucune raison, selon lui, de supprimer les adjuvants aluminiques qui « restent (les adjuvants) les plus sûrs et les plus efficaces ».

« Je suis stupéfaite des conclusions de M. le rapporteur public », a aussitôt lâché Me Françoise Thouin-Palat, lorsqu’est arrivé son tour de prendre la parole est arrivé. Désignée le matin même par Jacqueline Bergel, cette avocate spécialiste de l’immobilier qui s’est découvert un nouveau combat depuis deux ans, elle représentait le collectif de 3 000 personnes opposé aux adjuvants à l’aluminium. « Nous sommes tout à fait d’accord pour faire pratiquer la vaccination », a t-elle précisé, mais il y a un « vide scientifique » sur ce sujet, insiste-t-elle.

En 2017, un avis du conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) évoquait l’apport « significatif », sans être toutefois « encore déterminant », du travail de l’équipe du professeur Gherardi aux connaissances sur la sécurité des vaccins. Ces conclusions en demi-teinte furent l’occasion de rappeler la nécessité de financer des études sur le sujet. En attendant, pour Me Thouin-Palat qui considère qu’« on inocule à nos enfants des produits qui ont fait l’objet d’analyses contestables », « il n’est pas acceptable que le principe de précaution ne s’applique qu’à l’environnement » et non pas aussi à la santé humaine. Les décisions, mises en délibéré, devraient être rendues d’ici deux à trois semaines.