Julian Assange, peu après son arrestation à Londres, jeudi 11 avril. / Victoria Jones / AP

Le fondateur et dirigeant de WikiLeaks, Julian Assange, a été arrêté, jeudi 11 avril, par la police britannique. Il lui est reproché d’avoir enfreint sa liberté conditionnelle en 2012, mais il est également visé par une demande d’extradition des Etats-Unis. Ces derniers le soupçonnent d’avoir aidé Chelsea Manning, une de ses sources, à pirater des ordinateurs appartenant au ministère de la défense américain, afin de publier des documents secrets sur WikiLeaks.

Notre journaliste Martin Untersinger, spécialiste de WikiLeaks, a répondu aux questions des lecteurs du Monde lors d’un tchat, vendredi.

Seb : Est-ce que l’on sait où se trouve Julian Assange actuellement ?

Martin Untersinger : Il est incarcéré dans une prison londonienne. Il attend actuellement que soit fixée sa peine pour avoir enfreint les conditions de sa liberté sous caution, en 2012, au moment où il s’est réfugié dans l’ambassade d’Equateur. A l’époque, la Suède réclamait son extradition pour une affaire de viol et d’agression sexuelle. Sa culpabilité a été prononcée hier par un juge, seule la nature précise de sa peine est encore à déterminer. Il encourt jusqu’à un an de prison.

C’est depuis cette prison que sera organisée, le 2 mai, par vidéoconférence, la première audience concernant la demande d’extradition vers les Etats-Unis.

Julian Assange est incarcéré dans la prison de Wandsworth, à Londres. / NIKLAS HALLE'N / AFP

Mehdi26 : Est-il susceptible d’encourir la peine de mort ?

Les Etats-Unis le réclament car ils l’ont accusé de piratage informatique. Il aurait, selon la justice américaine, offert à sa source, Chelsea Manning, son aide pour accéder à davantage de documents secrets. Il n’encourt, pour cela, « que » cinq ans de prison.

C’est moins que s’il était accusé d’espionnage, ce que lui et ses soutiens redoutent depuis le début. Dans certains cas, cette accusation peut déboucher sur la peine de mort. Il est possible, certains disent même probable, que les Etats-Unis ajoutent ultérieurement l’espionnage comme motif d’inculpation.

Cependant, les textes européens et le traité d’extradition entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis prohibent l’extradition de quelqu’un qui risque la peine de mort. Par ailleurs, certains experts pointent le fait que ce traité empêche, en théorie, de poursuivre quelqu’un pour un autre motif que celui pour lequel il a été extradé. Ecartant donc la possibilité pour les Etats-Unis de requérir la peine de mort.

Cette perspective est donc très peu probable à ce stade.

Arn : Quelle est la raison d’être de WikiLeaks ?

WikiLeaks a été créé par Julian Assange pour servir de plate-forme de publication de documents secrets. Il a été rendu célèbre par la publication, en 2010, de milliers de documents issus de l’armée et de la diplomatie américaines : les « WarLogs » et le « Cablegate ». Ces documents avaient révélé de nombreuses informations sur la conduite de la guerre en Irak et en Afghanistan par les Etats-Unis. A l’époque, WikiLeaks avait travaillé en partenariat avec des médias traditionnels, dont Le Monde, mais aussi avec le New York Times, le Guardian ou Der Spiegel.

Julian Assange en 2011, aux débuts de WikiLeaks. / Lefteris Pitarakis / AP

Il s’est peu à peu coupé de ces soutiens traditionnels en adoptant une démarche que la quasi-totalité des journalistes réprouvent, celle de publier en masse des stocks de documents plutôt que d’opérer un filtre pour ne publier que les informations d’intérêt public.

Ces dernières années, WikiLeaks a par exemple publié des documents secrets de la CIA, ou encore remis en ligne le contenu des « MacronLeaks », ce piratage des boîtes e-mail de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.

André M. : Pourquoi et comment l’Equateur a-t-il retiré sa nationalité à M. Assange ?

Les autorités équatoriennes citent deux raisons : l’une, c’est qu’il a méconnu « les conventions internationales ». Ce qui se cache derrière ce terme n’est pas très clair, mais l’Equateur lui avait déjà reproché son ingérence dans les affaires de pays étrangers, ce qui lui avait valu des coupures, par les autorités équatoriennes, de sa connexion à Internet.

La seconde, c’est qu’il n’a pas respecté « le protocole de cohabitation ». Les relations entre Julian Assange et ses hôtes étaient notoirement exécrables, ces derniers reprochant notamment à l’Australien son comportement à l’intérieur de l’ambassade.

Cependant, ce qui semble avoir tout déclenché, c’est la publication toute récente, sur WikiLeaks, de documents compromettants pour un proche du président au pouvoir, Lenin Moreno. Ce dernier est par ailleurs bien plus favorable aux Etats-Unis que ne l’était son prédécesseur, Rafael Correa, qui a accordé en premier lieu l’asile politique à Julian Assange.

amandin202 : Qu’en est-il de l’impartialité de WikiLeaks et de Julian Assange ? Est-ce que les soupçons de collusions avec le Kremlin sont avérés ?

Plusieurs éléments ont jeté le trouble, jusque chez certains de ses proches soutiens, sur ses relations avec la Russie. Cela a commencé en 2012, lorsqu’il a accepté de présenter une émission sur la chaîne Russia Today, financée par le Kremlin.

Mais c’est surtout son rôle lors de la présidentielle américaine de 2016 qui interroge. D’abord, il a servi de réceptacle à des documents issus du camp Clinton, dont l’enquête menée par le procureur spécial Robert Mueller avance qu’ils ont été subtilisés par les services de renseignement russe. Ensuite, lors de la campagne, il a multiplié les messages hostiles à Hillary Clinton tout en faisant des appels du pied à Trump et à ses soutiens. On se souvient qu’il a notamment promu sur les réseaux sociaux une théorie du complot selon laquelle les documents du camp Clinton lui auraient été remis par un salarié du parti démocrate assassiné. Il a même directement échangé avec certains de ses proches lieutenants. La plupart des observateurs estiment que la publication intégrale du rapport Mueller pourrait lever le voile sur ce qu’il s’est réellement passé.

Zuiplap : Chelsea Manning a-t-elle réagi suite à l’arrestation de M. Assange ?

Elle aurait du mal à le faire, puisqu’elle est emprisonnée aux Etats-Unis depuis quelques semaines pour avoir refusé de répondre aux questions d’un grand jury (une procédure d’enquête secrète propre aux Etats-Unis)… sur WikiLeaks.

Son équipe de défense a cependant réagi. Sans se prononcer sur le fond du dossier, ses avocats ont expliqué que l’inculpation d’Assange confirmait ce qu’ils disent depuis le début, à savoir que les autorités américaines disposent déjà de toutes les informations nécessaires et que l’emprisonnement de la lanceuse d’alerte est inutile. Les avocats de Chelsea Manning essaient actuellement de la faire sortir de prison.

Chelsea Manning a fourni à WikiLeaks des documents secrets de l’armée américaine. / STRINGER / REUTERS

Merlin : Quel a été le verdict concernant les accusations de viol ? Dans quelle mesure sont-elles sérieuses ou relèvent-elles de la manipulation ?

L’affaire Assange ne fait pas exception : la parole des femmes qui formulent des accusations de viol ou d’agression sexuelle est quasi systématiquement remise en cause.

Concernant la première partie de votre question, Julian Assange était visé par plusieurs plaintes, à la fois pour agression sexuelle et pour viol. Le volet concernant les agressions sexuelles a été prescrit il y a plusieurs mois. L’enquête pour viol était valide jusqu’à ce que le procureur suédois en charge du dossier décide de l’interrompre. Cette dernière peut cependant être rouverte à tout moment, la prescription intervenant en août 2020.

Quatre grands récits pour comprendre Julian Assange